De YouTube à la BD : un roman graphique sur le rapport des femmes à leur corps

Des histoires personnelles et intimes susceptibles de résonner en chacune de nous.

(© Mathou/Facebook)

Les entretiens menés par Léa Bordier avec des femmes de tous âges et de toutes origines, pour sa chaîne YouTube « Cher Corps », sont adaptés en bandes dessinées, rassemblées dans un recueil éponyme. Les femmes racontaient alors, il y a deux ans, pour cette série fort émouvante et instructive, leur relation à leur corps : ce qui les complexait, ce qu’elles aimaient, ce qui les laissait indifférentes…

Léa Bordier avait alors réalisé une soixantaine d’entretiens avec des femmes aux profils divers et variés. Elle n’en était pas à son coup d’essai derrière la caméra, ayant dirigé auparavant le pôle vidéo de Madmoizelle. On lui doit aussi le docu, coréalisé avec Lisa Miquet, « Elles prennent la parole », tourné sous l’égide des Internettes.

Des illustratrices de choix viennent, pour cet album, illustrer les confessions. On retrouve notamment Cy dont on avait beaucoup aimé Le Vrai Sexe de la vraie vie (tome 1 et 2), une bande dessinée déculpabilisante. Mirion Malle, autrice des géniales  Commando Culotte et La Ligue des super féministes ainsi que Carole Maurel, qui avait dessiné avec brio l’histoire imaginée par Chloé Vollmer-Lo, L’Apocalypse selon Magda, mais aussi les talentueuses Karensac, Ève Gentilhomme, Sybilline Meynet, Anne-Olivia Messana, Daphné Colignon, Lucile Gomez, Mademoiselle Caroline, Marie Boiseau et Matou. À l’image des femmes qui racontent leur histoire, les autrices ont toutes leur singularité et leur univers, leur manière de représenter le monde. Tantôt dures avec elles-mêmes, tantôt bienveillantes, ces femmes interviewées sont représentatives de la relation parfois compliquée que l’on peut entretenir avec son enveloppe physique. Les diktats mis dans la tête des filles imposent des normes inatteignables, qui créent des complexes. Sont aussi abordés les conséquences du harcèlement de rue sur la vision qu’on a de son corps, les changements rapides à l’adolescence, le regard des hommes qui parfois dérange. Avec leurs expériences, elles nous enjoignent à arrêter les comparaisons et les jugements pour être plus sereines.

Des histoires particulièrement puissantes et émouvantes

Marie-Paule, 71 ans, par Carole Maurel

« On ne parlait pas de rapport au corps dans la famille, ça ne se faisait pas. »

(© Carole Maurel/Delcourt)

Elle confie en préambule : s’accepter est plus facile maintenant que lorsqu’elle était jeune. Une grossesse à 17 ans lui donnera une fille puis elle s’engage vers 21 ans, en se battant  pour la pilule et pour la reconnaissance de l’IVG. Le parallèle entre cette époque – et ses faiseuses d’anges – et le recul de ce droit aux États-Unis ou en Amérique du Sud est pertinent. Il faut se méfier car dans certains pays, on fait marche arrière.

Le passage des 50 ans a été difficile pour Marie-Paule mais un second amour a également fait son entrée dans sa vie. Si elle avait un message à faire passer :


« Ne vous occupez pas du qu’en dira-t-on ! Ni de ce que même vous, vous pouvez penser… Et acceptez votre corps tel qu’il est !! Quel que soit votre âge, il faut être naturelle ! Ne faites pas semblant de vivre… Vivez pleinement ! »

Shonah, 22 ans, par Ève Gentilhomme

« Si cela ne peut aider ne serait-ce qu’une femme, alors je n’aurais pas souffert pour rien. »

(© Ève Gentilhomme/Delcourt)

À travers des dessins colorés, l’histoire de Shonah est racontée sans fard, son impossibilité d’avoir des rapports sexuels sans douleurs à la découverte de sa maladie, la vestibulodynie.

Sophie, 33 ans, par Karensac

« En tout, j’ai maintenant 80 cm de cicatrices. »

Elle était au Bataclan le soir de l’attentat. Les balles ont entamé sa chair et elle vit désormais avec des marques. Plein de petites vignettes représentent une mosaïque des effets secondaires et du stress post-traumatique. Cela se matérialise aussi dans la relation de Sophie à son corps, les cicatrices encore visibles, la peur des cauchemars, l’impossibilité physique de regarder des films avec des armes à feu.

Cette BD, à travers ses histoires, les drames et les joies vécues par ces femmes, pousse à se connaître, à s’accepter et à s’aimer. Une bande dessinée non seulement utile mais très belle.