Une Vie de moche : ou comment les diktats s’imposent aux femmes

« Et puis j’ai été déchue. L’heure est venue de ma disgrâce. »

Dans cette bande dessinée de François Bégaudeau et Cécile Guillard, on suit le parcours de Guylaine, de sa naissance à ses 60 ans. Elle suscite l’admiration en tant que bébé et jeune enfant jusqu’au moment de côtoyer les autres enfants qui la proclament moche. L’acquisition de la parole pour Guylaine est une épreuve par moments puis une libération à d’autres. Elle passe par des phases d’espérance, de doutes, qui l’amènent à s’observer sous toutes les coutures afin de déterminer ce qui est moche chez elle. Elle se compare aux femmes de magazines et essaye aussi de disparaître au plus profond d’elle-même pour réapparaître plus forte et déterminée que jamais. Tout au long se sa vie, ses ami·e·s, ses connaissances vont l’aider dans ce sens. 

Cette BD est touchante à plus d’un titre. Elle traite d’un sujet qui parle à beaucoup de femmes : comment aimer son corps, et réussir à s’accepter. Elle montre les étapes de la vie pour se construire en tant que femme et parvenir à se détacher de ce que la société leur fait porter sur les épaules aux différents âges de la vie.

On connaissait déjà le travail de François Bégaudeau en tant qu’écrivain, réalisateur et militant mais c’est aussi un habitué des collaborations BD en tant que scénariste. Sa plume soutient magnifiquement les dessins de Cécile Guillard, qui, elle, a travaillé sur des projets personnels, des courts-métrages ou des illustrations pour des magazines ou revues. Sa technique de dessin au lavis, le mouvement de ces gestes et l’utilisation de l’aquarelle donnent une force incroyable à cet album. On perçoit chacune des émotions du personnage que l’on suit, on la voit évoluer dans cet univers aux couleurs sombres, et le dessin accompagne son cheminement vers l’acception d’elle-même. Le trait s’estompe par moment mais sans jamais vraiment disparaître, laissant à Guylaine la possibilité de continuer à être vue et à parler au lecteur.

Le choix du lettrage en majuscules vient renforcer la conviction de Guylaine sur ce qu’elle observe d’elle-même et vient en même temps souligner les étapes de sa vie pour s’accepter en tant que femme. Le choix des bulles joue beaucoup dans le processus. On passe de bulles vives, pleines de joie, à des récitatifs qui nous font entrer dans la tête de Guylaine. Elle ne parle plus directement, semble, pendant un temps, tenter de se faire oublier.

La lecture est fluide et on se laisse complètement porter par Guylaine, l’enfant, l’adolescente puis la femme que l’on suit. Cette œuvre est une ode féministe à l’acceptation de soi. Elle évoque des grands noms d’autrices qui ont travaillé sur ces problématiques, comme Simone de Beauvoir dans Mémoires d’une jeune fille rangée, ou encore Mona Chollet dans son étude Beauté fatale, sur l’emprise du paraître et de ce qu’est la féminité selon les codes actuels.

Une BD très réussie qui parle de construction identitaire et de comment se détacher des diktats sociétaux sur l’apparence physique.

Une Vie de moche a été publié le 2 octobre 2019 chez Marabulles, au prix de 25 euros