BD jeunesse : La Ligue des super féministes, parce qu’il n’est jamais trop tôt

(© éditions La ville brûle)

Cet album, à destination des enfants à partir de 8 ans, est présenté comme la première BD féministe. En tout cas, le féminisme est son sujet et il est rudement bien traité. Les livres ayant la volonté d’éclairer sur les grands combats passés et à venir commencent à se faire de plus en plus nombreux sur les étals des librairies mais cet ouvrage, publié le 4 janvier – un poil tard pour Noël mais les occasions ne sont pas nécessaires pour offrir des bouquins –, manquait cruellement aux pourtant très diverses et inventives parutions en édition jeunesse.

L’autrice n’a que 26 ans mais a déjà pu exposer son talent. Elle se fait d’abord connaître grâce à son blog BD, Commando culotte, dès 2011, et se fait ensuite publier. En 2016, sort la BD Commando culotte, dans laquelle elle décrypte le sexisme dans la pop culture (par le biais d’analyses de séries et de films).

« L’important, c’est de comprendre ce qu’on voit, d’y réfléchir »

À l’aide de trois petits personnages qui abordent divers sujets – l’écriture inclusive, le féminisme intersectionnel, le consentement, etc. –, l’autrice donne les outils aux enfants et aux préadolescents pour réfléchir et comprendre notre monde. Elle fournit les armes pour ne pas rentrer dans des schémas figés où les inégalités entre hommes et femmes se reproduisent. Pourquoi les hommes doivent être forts et les femmes ne s’intéresser qu’à l’amour ? Eh bien uniquement parce qu’on nous l’apprend.

L’autrice explique d’abord en quoi les représentations (proposées à la télé, dans les livres, dans les pubs, dans les jeux vidéo, dans les films, dans les séries, dans les journaux, etc.) sont importantes dans la construction progressive d’un monde stéréotypé et déséquilibré. Les petites filles développent notamment de gros complexes par rapport à leur image et par rapport à ce qu’elles sont capables de faire ou non.

Mirion Malle s’appuie sur des exemples concrets pour décrypter les œuvres, et notamment sur le test de Bechdel. Pour réussir ce test qui a pour but de dénoncer l’invisibilisation des femmes, il faut qu’il y ait dans le film au moins deux personnages féminins qui aient un nom, deux personnages féminins qui se parlent, mais d’autre chose que d’un homme. Le but n’est pas de refuser en bloc toutes les créations qui ne respectent cela mais plutôt de se forger un esprit critique, ne plus être dupes.

Dans les relations amoureuses, on retrouve aussi beaucoup de canevas, vus et lus dans des histoires, et ensuite reproduits. « D’un côté, on a les personnages de filles qui ne pensent qu’à l’amour. De l’autre, des personnages de gars qui ont mille autres intérêts… » La BD fait en cela penser à celle de Liv Strömquist, Les Sentiments du Prince Charles, mais dans une version édulcorée et accessible pour les plus jeunes. On avait déjà aimé aussi, dans la même lignée, un petit manuel à l’usage des ados, Beyoncé est-elle féministe ? On pense également au livre de Mona Chollet, Sorcières, qui abordait, comme dans cette BD, le jeunisme ambiant, dans le chapitre « L’Ivresse des cimes ».

Les grands combats du féminisme à la portée des plus jeunes

Ce livre rappelle à la fois des évidences (qui ne le sont parfois pas pour les plus jeunes) comme les bienfaits de l’entraide et de l’amitié, ce qu’est le consentement mais développe aussi des raisonnements plus complexes, sur le caractère insidieux du sexisme par exemple ou sur les notions de genre et d’identité sexuelle. On s’adresse à des filles (et à des garçons) qui vont rentrer dans l’adolescence. Le mot d’ordre est la sororité et l’accent est mis sur l’amitié. Il faut se soutenir, ne pas se tirer dans les pattes. La façon dont on doit aborder cette période difficile est cruciale.


Mirion Malle fait la part belle à la diversité. On voit toute sorte de physiques et de profils dans l’ouvrage. Le féminisme intersectionnel, trop souvent délaissé par le passé, est ici bien mis en avant. « Les oppressions ne s’ajoutent pas seulement les unes aux autres, elles se mélangent pour créer de nouvelles formes de domination ». Exemple, une femme noire peut malheureusement entendre un homme lui dire dans la rue : « Hé ma belle lionne, ça te dirait de rugir pour moi ? » Les clichés de toutes sortes ont la vie dure. « Ça veut dire que ces formes d’oppression qui s’ajoutent et se mélangent, forment à chaque fois une nouvelle oppression à part entière. C’est comme si celles qui subissent ces oppressions devaient courir en portant un sac à dos qui les empêche de courir, mais qui n’a ni la même forme ni le même poids selon les personnes. » Les comparaisons sont compréhensibles et simples, même pour le jeune lectorat.

Engagé, documenté et plaisant, cet album unique est à mettre entre les mains de tous les enfants à partir de 8 ans, mais aussi pourquoi pas entre celles de votre vieil oncle sexiste.