Sex and the series : une analyse féministe de l’évolution de la représentation des sexualités féminines dans les séries

“Depuis octobre 2017, le temps est venu à Hollywood de changer les règles du jeu, les femmes sont bien décidées à prendre le pouvoir et à s’organiser. Et si les séries avaient tout anticipé ?”

Le travail d’Iris Brey a aussi donné lieu à une série documentaire sur OCS.

En 2016, Iris Brey, journaliste et universitaire spécialiste de la question du genre et de ses représentations au cinéma et dans les séries, publiait une première version du livre Sex and the series, projet mûri à la suite d’une conférence qu’elle avait donné au Festival Séries Mania, en 2015. L’idée : retracer l’évolution de la représentation des sexualités féminines dans nos séries, qui a connu depuis les années 2000 de spectaculaires avancées. Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

Après avoir observé deux années (2016 et 2017) incroyablement fécondes en termes de créations sérielles, et assisté – comme nous toutes – à une nouvelle vague féministe déclenchée précisément par une affaire, Weinstein, qui concerne la sexualité des femmes (elles ne pourront être libres de jouir tant qu’elles seront agressées par des hommes de façon systémique), Iris Brey a repris sa plume.

“Depuis 2016, plusieurs séries majeures sont apparues et une nouvelle édition augmentée et remaniée de Sex and the series s’est imposée. I Love Dick redéfinit la représentation du désir féminin. The Handmaid’s Tale, Big Little Lies et 13 Reasons Why amorcent un dialogue autour des violences faites aux femmes et de la notion de consentement. Le final de Sense8 et l’arrivée de Pose permettent de repenser la place du phallus dans nos rapports à la sexualité. Ces séries font avancer la représentation des sexualités féminines de manière radicale et engagée. Elles marquent un tournant dans la création audiovisuelle.” écrit-elle.  

Kathryn Hahn (Chris), dans I Love Dick. (© Amazon Prime Video)

Cet essai érudit et extrêmement fouillé se penche sur plus de 70 séries et se découpe en quatre parties. Dans la première, l’autrice s’intéresse au langage qui sert à identifier, à mettre des mots sur une action, en l’occurrence ici sur l’anatomie féminine et les actes sexuels. On apprend ainsi que bien des séries américaines ont dû se battre contre la FCC (Commission Fédérale des communications) ou ruser pour faire apparaître des mots comme “clitoris” ou “vagin” dans leurs épisodes. De Friends et une fameuse scène de simulation d’orgasme revisitée à Grey’s Anatomy et l’invention du mot  “vajayjay” par Shonda Rhimes pour contrer la censure, en passant par Orange is the new black et le cours d’anatomie magistral de Sophia Burset, personnage transgenre (incarné par l’actrice transgenre Laverne Cox), ce chapitre nous éclaire sur l’importance du langage entourant la sexualité féminine, la façon dont il s’est lentement développé dans sa représentation à la télévision, grâce à des shows comme Sex and the City, qui parlaient enfin ouvertement de jouissance féminine.

Logiquement, la deuxième partie est consacrée au thème du plaisir féminin. Longtemps tabou dans nos sociétés, il l’a aussi été dans les séries, qui se font le miroir de la société, parfois déformant, parfois réaliste ou même prophétique. À travers des analyses pertinentes de scènes de sexe, Iris Brey décortique les représentations du cunnilingus et d’orgasmes dans nos séries favorites, et les différents tabous liés au plaisir féminin comme le sexe pendant les menstruations, la sexualité des femmes enceintes ou des femmes âgées. Ils sont tous représentés dans des séries, certes parfois très récentes.

Militante féministe assumée, l’autrice en profite pour appeler à “la parité orgasmique” (même principe que l’égalité salariale, mais dans le sexe) après avoir analysé une scène de la géniale Masters of Sex, qui tord le cou aux lieux communs concernant la jouissance féminine.

“La pay gap et l’orgasm gap résument une attitude générale : l’expérience féminine a moins de valeur que l’expérience masculine. Car si la jouissance des femmes devenait aussi importante que celle des hommes, l’anatomie serait enseignée à l’école, le clitoris figurerait dans les manuels de biologie et la mentalité ne serait pas de dire que l’orgasme féminin est trop compliqué pour s’y attarder mais qu’il est aussi prioritaire que l’orgasme masculin. La parité orgasmique signifierait une avancée majeure pour les femmes dans la société.”

Et pour faire évoluer les mentalités sur le plaisir féminin, il faut en passer par un changement dans ses représentations. Mais pour jouir, il faut aussi que les femmes soient libres de toute domination masculine, dans la chambre à coucher et ailleurs. Cela passe par une annihilation des violences sexistes et sexuelles faites aux femmes. Et pour en arriver là, il faut d’abord les dénoncer. C’est l’affaire Weinstein, survenue en octobre 2017, et la naissance de séries comme The Handmaid’s Tale ou Big Little Lies sur lesquelles se penchent Iris Brey dans son troisième chapitre. Mais aussi celles qui représentent le viol, comme Game of Thrones, de façon problématique, ou l’inceste comme Twin Peaks (et encore GoT).

Nicole Kidman et Alexander Skarsgård dans Big Little Lies. (© HBO)

Cette partie, forcément la plus dure à lire de l’essai, est en même temps indispensable pour comprendre pourquoi il est si compliqué et si urgent que les femmes reprennent possession de leur sexualité. Iris se penche aussi sur la représentation des violences faites aux femmes racisées, et sur la façon dont des séries comme Scandal, Insecure ou The Handmaid’s Tale dénoncent ou retournent des stéréotypes particuliers dont elles font l’objet. Éclairant.

Elle achève sa démonstration par une dernière partie lumineuse, consacrée aux représentations des sexualités queer. Longtemps invisibilisée, la communauté LGBTQ+ a son histoire sérielle. Elle passe par The L Word, Queer as folk, Orange is the new black et est émaillée de grands moments comme le premier baiser lesbien à la télévision, qui a lieu entre Tara et Willow dans Buffy, en 2001. L’arrivée de séries comme Pose ou The Bold Type montrent qu’il y a encore beaucoup de représentations à inventer.

Sense8, Transparent, I Love Dick et maintenant Pose nous ont permis d’appréhender les sexualités féminines en dehors des sentiers battus, en envisageant les rapports sexuels comme un terrain vaste et fluide, ne tournant plus autour d’un homme pénétrant une femme et dont l’éjaculation signerait la fin de la partie.”     

Après avoir lu Sex and the series, on comprend réellement pourquoi la représentation des sexualités féminines est si importante. Parce qu’elle porte en elle un pouvoir révolutionnaire, qu’on a d’ailleurs vu à l’œuvre après les révélations de l’affaire Weinstein. Car qu’on le veuille ou non, les actrices et Hollywood dans son ensemble sont des modèles avec lesquels on grandit et on se construit.  

C’est pour cela qu’Iris Brey milite pour un changement de perspective : le “female gaze” en réponse au “male gaze”, cette façon de filmer les femmes comme des objets de désir sexuel pour hommes hétéro, qui sévit à Hollywood depuis… toujours. Parce que l’idée n’est pas de faire subir aux hommes ce que les femmes ont subi, le female gaze n’est pas l’exact opposé du male gaze. Il ne s’agit de pas d’objectifier les hommes, mais plutôt de raconter enfin le désir féminin.

Ce mouvement révolutionnaire est déjà à l’œuvre dans le monde des séries, à travers des figures comme Jill Soloway. Et avec lui, c’est un monde nouveau, fait de plaisir et d’expériences sexuelles inédites, qui nous tend les bras.

Par Marion Olité

Disponible aux éditions de l’Olivier, 272 pages, 16 euros

Date de publication : 31 octobre 2018