Éduquer sans préjugés : guide de l’éducation anti-sexiste

(© JC Lattès)

C’est un livre dans l’air du temps, de notre époque post MeToo, où l’on a enfin compris que le changement pour une société féministe, égalitaire et inclusive, allait passer par l’éducation des enfants. Les parutions récentes sur le sujet le prouvent : Tu seras un homme – féministe – mon fils, d’Aurélia Blanc ou encore Fille-Garçon, même éducation, de Pihla Hintikka et Elisa Rigoulet. Il y a cependant encore beaucoup de boulot, même si la conscientisation est en route et les efforts enclenchés nombreux.

Nos autrices, Amandine Hancewicz et Manuela Spinelli, créatrices de l’association salvatrice Parents et Féministes – c’est donc loin d’être un oxymore –, s’attellent à nous expliquer comment éduquer nos enfants sans préjugés sexistes. Ce livre est une mine d’informations et de conseils pratiques, rassemblant ainsi des recherches universitaires dans le domaine, des petits points d’histoire, pour comprendre d’où viennent les origines de nos pratiques stéréotypées, des témoignages de parents parfois un peu démunis face à des situations dérangeantes.

Grâce à une organisation chronologique (0-3 ans, 3-6 ans, 6-10 ans), on se rend compte des difficultés grandissantes rencontrées selon l’âge des enfants, bien qu’une appréhension genrée et sexiste préexiste même avant la naissance. Dans la majorité des cas, on veut connaître le sexe de l’enfant avant son arrivée au monde, pour se préparer. Cela est légitime mais cela sous-entend aussi qu’on n’élève pas de la même façon un garçon et une fille, qu’ils auraient des besoins différents. Le genre apparaît dans les premières années uniquement avec les projections extérieures de l’entourage. Le livre propose de s’éloigner des codes stéréotypés pour ne pas enfermer les enfants dès le plus jeune âge dans le carcan des genres et dans ce qu’il a de réducteur.

Des exemples concrets sont également analysés, comme cette manie, à laquelle on peut difficilement échapper aujourd’hui encore de réserver le bleu aux garçons et le rose aux filles, surtout chez les nouveaux-nés. Les autrices nous expliquent que cela n’a pas toujours été le cas dans l’histoire. Cette binarisation de la couleur des vêtements a eu lieu en partie sous l’impulsion du marketing – et lors du développement des échographies dans les années 80 – afin de faire acheter plus d’habits aux parents et aux proches. Les couleurs, cela peut sembler être un détail, d’autant plus que les bébés ne s’en rendent pas compte mais on enferme dans des cases, on étiquette et finalement on essentialise.

Des professionnels de la petite enfance avancent aussi que bien souvent les vêtements pour filles sont peu pratiques pour la motricité. Cela va loin mais lorsque l’on s’y intéresse, on remarque que les vêtements cintrés entravent les mouvements. On trouve dans le livre un témoignage évoquant un bébé d’un an dont les mouvements étaient compliqués par une robe dans lequel il se prenait les pieds. Pas facile en effet pour apprendre à marcher.

On trouve également une partie intéressante sur la répartition des taches parentales et éducatives entre les parents, dans les couples hétérosexuels. On y parle des « nouveaux pères » et d’une certaine illusion sur la révolution qu’ils représentent. « Les pères sont éventuellement invités à y participer, comme un bonus que toutes n’ont pas la ‘chance’ d’avoir. S’ils aident, c’est bien, sinon tant pis. Et s’ils s’approchent d’un partage équitable des tâches, alors ce sont des héros. Peut-être parce qu’au lieu de considérer la part effectuée par chaque parent, on compare celle de ces derniers avec celle des pères des pères qui les ont précédés. » Cela tient beaucoup à l’inégalité entre les congés parentaux, comme l’explique bien Illana Weizman dans son livre Ceci est notre post-partum.

Les filles, grandes victimes de l’éducation genrée

Les parents qui font attention à éduquer leur progéniture loin des stéréotypes de genre durant les premières années de leur vie déchantent lorsque leurs enfants vont à l’école. Les programmes et les enseignements sont pourtant les mêmes pour tous·toutes mais on constate cependant une reproduction des rôles genrés.

D’abord, on donne plus d’espace aux garçons. La justification avancée est le pseudo besoin de dépense d’énergie. On remarque également une séparation spatiale : le groupe des filles d’un côté et le groupe des garçons de l’autre. Ils comprennent tôt qu’ils ne doivent pas se mêler et que chacun·e a ses jeux. Des études ont été faites sur la répartition des enfants dans les cours d’école, les garçons au centre qui occupent l’espace et les filles en périphérie.

On ne s’en rend pas forcément compte mais les petites filles font l’objet de beaucoup plus d’injonctions : être sage, se taire, obéir, rester calme… Comme cela est décrit dans l’ouvrage, la parole des filles est bien souvent décrédibilisée. On les traite de pipelettes, les accuse sans cesse de bavardages, apanage des filles. Comme si leur parole ne pouvait être qu’un babillage que l’on devait arrêter.

Les autrices décrivent des comportements différenciés – souvent inconscients – dans le cadre de l’école, dès la primaire, avec les filles et les garçons, en anticipation de comportements genrés.

« Voici un exemple : les garçons sont sollicités plus souvent que les filles pendant les heures de cours. Si pendant les années 1970 on estimait entre les temps de parole accordés aux garçons et aux filles à deux tiers/un tiers, aujourd’hui la situation semble s’être légèrement améliorée : on est à 56 % contre 44 %. […] Leur indiscipline étant anticipée, elle est mieux tolérée : on la considère comme inévitable et naturelle. Les filles, au contraire, bien que rappelées à l’ordre moins souvent, le sont de façon plus dure et nette. Parler à voix haute, couper la parole : ce n’est pas un comportement digne d’une fille, voyons ! Ce sont les garçons qui occupent l’espace sonore de la classe ; quant aux filles, elles sont considérées plus ‘en phase’ avec l’institution scolaire (lisez : conformistes). »

Nous sommes invité·e·s par ce livre à combattre les stéréotypes, comme celui qui voudrait que les femmes ne sont pas bonnes dans les matières scientifiques. Ces idées reçues ont la peau dure. Cela découle en partie de la distinction suivante : les femmes sont du côté de l’émotion et les hommes de la logique.

À force d’entendre des contre-vérités, elles rentrent tout de même dans les esprits, c’est ce que l’on appelle l’effet Pygmalion, qui est en quelque sorte une prophétie auto-réalisatrice. C’est pour cela qu’il est très important de donner à voir des modèles féminins dans tous les domaines. Il faut plus de femmes dans les manuels, plus de femmes citées en exemples, plus de femmes inspirantes montrées aux enfants. Dans les illustrations pour les manuels de primaire, c’est aberrant, « si on prend les manuels français de CM1, les femmes y sont représentées dans 34 % des illustrations, et les hommes dans 95 %. Dans ceux de CM2 le pourcentage augmente tout légèrement : les femmes sont représentées à 43 % et les hommes à 89 %. Lorsqu’on s’intéresse aux manuels d’histoire, les choses ne s’améliorent pas : en CM1 les femmes figurent dans 31 % des illustrations et les hommes dans 90 % ». On peut penser que c’est parce que les femmes n’ont pas « fait » l’histoire mais c’est plutôt car elles ont été invisibilisées. Et c’est un cercle vicieux, moins on les montre, moins les petites filles auront la croyance qu’elle pourront faire de grandes choses.

Une étude américaine « Draw-a-Scientist-Test » (« scientist », mot neutre en anglais) est parlante à cet égard également. On propose à des enfants de dessiner un·e scientifique. À 6 ans, la proportion de femmes et d’hommes est à peu près égale, à 8 ans, la balance penche nettement en faveur des hommes. On constate aussi une évolution dans le temps. Dans les années 60, 1 % des enfants dessinaient des femmes, aujourd’hui nous en sommes à 28 %. De bien maigres progrès, qui en disent long sur l’évolution lente des représentations mixtes des métiers.

« Les discours d’autorité reviennent généralement aux hommes. 80 % des experts interrogés pendant le premier confinement étaient des hommes. Pourtant des femmes qualifiées existent. On apprend aux enfants que les hommes sont plus compétents et intelligents. Une étude de 2017 dans Science nous montre comment la perception de l’intelligence évolue avec l’âge. On dit à des enfants : « Une personne qui travaille avec moi est vraiment très, très intelligente. Elle résout les problèmes plus rapidement et mieux que n’importe qui d’autre. Selon vous, qui est cette personne ? Un homme ou une femme ? » À cinq ans, la personne indiquée est du même sexe que l’enfant. À partir de 6/7 ans, les filles qui désignent une femme ne sont plus que 20 %. À ce sujet des préjugés sexistes dès le plus jeune âge, il est intéressant de regarder le documentaire « On ne naît pas féministe ».

Il faut dégenrer les métiers pour donner à tous la possibilité d’imaginer les faire : « les lier à la notion de compétences et non de genre et, ce faisant, contribuer à élargir le champ des possibles de nos enfants. »

Jouets et contes

En littérature jeunesse, on trouve malheureusement encore beaucoup de schémas familiaux stéréotypés même si les choses changent avec une nouvelle garde très motivée. On pense par exemple au génial Ma Maman est bizarre chez La Ville brûle pour les albums, ou à des livres documentaires qui font la part belle aux femmes comme Les Reines de France, de Caroline Charron, chez Casterman.

Les contes suivent aussi des schémas que l’on peut considérer aujourd’hui comme archaïques. Le point de départ est souvent une jeune fille fragile et soumise (Cendrillon, Blanche-Neige) en attente de son prince. Les femmes sont toxiques entre elles et aucune sororité n’est à l’œuvre. Est-ce vraiment l’exemple que l’on veut donner à nos filles ?

Une partie importante de cet ouvrage est consacrée aux jouets (vaste sujet !). L’on nous montre comment et pourquoi « la binarisation des activités ludiques [malheureusement encore d’actualité] a d’importantes conséquences sur le développement de nos enfants. » Pour les filles, on réserve la plupart du temps des jouets en rapport avec l’univers domestique et l’intérieur, la beauté, le maternage, pour les garçons, des jouets en rapport avec l’extérieur, avec la construction, la réflexion et les affrontements.

« Les jouets de nos enfants encouragent ainsi le développement de capacités cognitives différentes : en général, les activités étiquetées ‘filles’ entraînent plutôt les facultés langagières et émotionnelles ; les activités étiquetées ‘garçons’ les aptitudes logiques et spatiales. Cette disparité, nous la retrouverons à l’école dans les qualités différenciées des unes et des autres : s’agit-il d’un hasard ? »

Le choix des jeux et des activités a des conséquences importantes, en cela qu’ils modèlent les envies, les objectifs, débutent l’intégration des rôles sociaux, de ce qui est accepté ou non pour chaque genre. Quand on joue avec des poupons, n’est-on pas plus encline à vouloir devenir mère et à s’occuper ensuite des bébés ? Les jeux de nettoyage et de dinette sont la plupart du temps donnés aux filles tandis que les garçons s’entraineront à la logique avec les jeux de construction.

Bien sûr il existe parfois un écart important entre les ambitions que l’on a pour nos enfants, nos convictions et la (triste) réalité dans laquelle nous évoluons. Il est compliqué de concilier ses convictions avec les attentes d’une société sexiste, comme l’énoncent les autrices : « Nous sommes aussi aux prises avec ces dilemmes, entre ce que nous souhaitons pour nos enfants – consciemment ou non –, ce que l’on perçoit de leur personnalité, et le souhait de les voir s’intégrer parmi leurs pairs. À partir de là, quelle place accorder au respect de leurs goûts, souvent très influencés ? »

Ce livre pose beaucoup de questions pertinentes et donne de grandes aides pour éduquer les enfants. Une des clés de la réussite d’une éducation non-sexiste est l’explication, la discussion avec les enfants, afin de détricoter des stéréotypes encore trop présents à tous les étages de la société.

On comprend pourquoi il faut laisser jouer les garçons avec des poupons et mettre du rose, pourquoi tous les enfants doivent avoir le droit de jouer avec tous les jouets, pourquoi on a interdit aux garçons de pleurer et aux filles de se mettre en colère.

Il faut que tout le monde participe, que l’on combatte les grands schémas sexistes mais aussi les petites choses qui peuvent sembler anodines car le diable se cache dans les détails et que tous les aspects de l’éducation de chacun·e construisent la société de demain. « Le dessin d’un t-shirt, la couleur d’un doudou, un dessin animé, un livre, une simple remarque sur la longueur des cheveux, sur le choix d’un sport ou d’une filière… toutes ces choses qui, isolées, peuvent paraître anodines, ne le sont pas car elles entrent en résonance avec les autres expressions du système sexiste. Tout est lié. Tout se tient pour façonner une vision du monde et les rôles de chacun·e. Mais reconnaître ce système, le comprendre, prendre du recul par rapport à ses prétendues valeurs, peut nous permettre de le détricoter. Tou·te·s ensemble. »