Bitch Planet : un comics furieusement féministe sur un gang de meufs en cage et en rage

La série « Bitch Planet », dont le tome 1 a paru en 2016, est un détournement ingénieux et percutant du cinéma d’exploitation, ces films au budget réduit reprenant de gros succès.

Dans un monde totalement dominé par les hommes et durant une période appelée le « nouveau protectorat », les femmes jugées non-conformes, ne se pliant pas aveuglément aux volontés masculines, sont envoyées sur une autre planète : Bitch Planet. Dans cette prison en orbite au dessus de la Terre, elles vont devoir survivre. Un tournoi sportif s’organise pour être diffusé à la télévision sur la Terre. À l’ambiance carcérale sans merci, où les femmes sont sans cesse manipulées et rabrouées, va s’ajouter l’esprit de compétition d’un tournoi sportif.

Les femmes jugées non-conformes sont considérées comme le cancer qui ronge l’humanité. Celles qui atteignent un degré de non-conformité tel que toute tentative de correction serait vaine sont envoyées sur une autre planète, pour le bien de tous et éviter une contamination. Pour être conformes, les femmes doivent être entièrement dédiées aux désirs des hommes. « Sois la version de toi-même qu’il préfère », « C’est bien d’être à sa disposition à tout heure, tous les jours. Accordex t’aidera » sont des slogans de pub.

Fausses publicités dans le tome 2, inspirées de celles présentes au dos de vieux comics américains.

Une esthétique comics et une dystopie efficace

Valentine de Landro (dessinateur) et Kelly Sue Deconnick (scénariste) forment un duo de choc pour mener une réflexion sur la normalité et la conformité.

Bitch Planet est un comics féministe revendiqué dans un univers carcéral dystopique sous forme de coup de poings. Les femmes doivent se conformer à des diktats, doivent obéir aux hommes et si elles s’écartent des normes, elles sont déclarées non-conformes. Cela fait écho à la notion de « normalité » tant prônée par nos sociétés. Cette fiction pousse le patriarcat à son degré le plus extrême mais certaines injonctions ressemblent tout de même à celles présentes dans notre monde et cela montre que beaucoup de combats sont encore à mener.

Kelly Sue DeConnick – qui a également travaillé sur Captain Marvel et Pretty Deadly – est l’autrice de cette série. Elle réalise un tour de force narratif en mettant les femmes et leur soif de vivre, en dépit d’une domination brutale, au cœur de son histoire. Ces super-héroïnes opprimées montrent un courage sans bornes. Elle voulait que le personnage principal soit une femme noire et a aussi pour ambition de montrer la diversité et les diverses facettes du féminisme :

« Il y a beaucoup d’expressions du féminisme, ou plutôt de la féminité. Aucune façon d’être n’est plus vrai qu’une autre, car les femmes sont aussi différentes que nombreuses, et qu’on n’a pas en tant que femmes, à nous conformer à un choix réduit de caractéristiques. Il y a beaucoup de façons de déterminer sa force. Tu n’as pas à être ce que tu n’es pas. »

Les pages de bonus à la fin avec des interviews passionnantes de journalistes et écrivaines qui parlent de leur rapport au féminisme sont appréciables. De fausses pub ponctuent également les volumes, encourageant les femmes à une totale soumission et vantant des produits pour les aider à plaire aux hommes. Elles vous feront osciller entre rire et totale affliction, tant certaines font écho aux images dévalorisantes de la femme encore présentes dans nos magazines et sur les murs de nos rues.

Bitch Planet est une série très originale qui fait cependant beaucoup de clins d’œil à d’autres comics. Le petit côté Orange is the new black avec l’atmosphère carcérale féminine qui serait passée à la moulinette de George Orwell donne un comics puissant et furieusement féministe. Kelly Sue Deconnick a choisi sciemment ce contexte de répression, elle l’explique ainsi :

« J’ai toujours apprécié des histoires de femmes centrées sur la rébellion et la revanche. Ça a probablement à voir avec un cadre qui leur donne l’opportunité d’exprimer leur colère et de transgresser les normes. Dans ces situations, il leur est ‘permis’ d’exprimer une partie de l’outrage et de la colère que beaucoup de nous sentent monter chaque jour. »

Parce que nous aussi, on peut parfois se sentir non-conforme, parce que « trop grosse, trop maigre, trop effrontée, trop prude, trop timide, trop sexy, trop croyante, trop noire, ou pas assez, pas assez blonde, ou encore trop ce-qu’ils-ont-décidé-de-te-reprocher-aujourd’hui », Bitch Planet est une BD à lire. Elle peut aussi faire l’effet d’une catharsis nécessaire, dans un monde trop normé, surtout pour les femmes.