La Remplaçante : première bande dessinée sur le post-partum

Marketa et Clovis, fous amoureux, attendent leur premier enfant. Mais l’accouchement et la période du post-partum ne se passent pas comme prévu. Marketa n’éprouve pas d’instinct maternel mais plutôt l’impression désagréable d’être incompétente et ne cesse d’imaginer qu’une remplaçante prendrait mieux soin qu’elle de son bébé.

Alors que la parole sur cette période de bouleversements intenses qu’est le post-partum se libère – avec notamment l’excellent livre d’Ilana Weizman Ceci est notre post-partum –, cette bd aborde de façon incarnée les difficultés physiques et psychologiques qu’elle engendre. Elle déconstruit le mythe encore trop répandu de l’instinct maternel.

Une bande dessinée nécessaire dont nous parle Sophie Adriansen, également autrice de Linea Negra, roman sur la maternité.

Mathou et Sophie Adriansen (© Christophe Martin)

Camille : Comment est née l’idée de cette bd ? Le besoin d’exprimer ce qui vous était arrivé, de partager cette expérience ?

​Sophie : J’ai d’abord eu l’idée du scénario de La Remplaçante en pensant à moi : j’ai tenté d’écrire l’histoire qui m’aurait fait du bien à la naissance de mon premier bébé, près de quatre ans auparavant. L’idée a surgi après mon deuxième accouchement, quand je me suis revue au travers d’une femme croisée dans le couloir de la maternité. Plus qu’exprimer ce qui m’était arrivé, j’ai eu envie de réparer, de (me) consoler. Le miracle, c’est que cela ait parlé à d’autres : tout d’abord à Mathou, qui a tout de suite accepté de dessiner cette BD, puis les éditrices des éditions First, et à présent, depuis que le livre est sorti, à des femmes de tous âges et de tous horizons qui se retrouvent à travers Marketa.

Camille : Comment s’est passée la collaboration avec Mathou ? Vous êtes vous retrouvées sur une vision de la maternité ?

Sophie : Si c’est à elle et à personne d’autre que j’ai pensé une fois le scénario achevé, ce n’est pas par hasard : je suivais et j’aimais son travail, et j’avais vu passer plusieurs dessins qui allaient dans le sens de mon propos – à savoir que la maternité n’est pas forcément évidente ou instinctive. Une fois que Mathou a dit oui, nous avons beaucoup discuté, et nous nous sommes découvert beaucoup de points communs quant à nos accouchements et nos premiers pas en tant que mères. Cela a clairement facilité notre collaboration… et je pense que c’est aussi ce qui rend le résultat aussi juste.

Camille : Vous avez eu besoin de temps après votre entrée dans la maternité pour écrire cette bd. Est-ce que ça a été dur émotionnellement ?

Sophie : Je n’aurais pas pu l’écrire à la naissance de mon premier enfant, car j’ai alors plongé dans une dépression post-partum que je n’ai diagnostiquée qu’a posteriori. On ne peut pas nommer les choses si l’on n’en a pas conscience. Le scénario s’est imposé après la naissance de mon deuxième bébé, qui a réparé beaucoup de choses et m’a permis d’ouvrir les yeux sur ce que je venais de traverser. Ensuite, lors de l’écriture, je suis passée par toutes les émotions que ressent Marketa. Et de nouveau ensuite en découvrant ces émotions mises en images par Mathou.

Camille : Pensez-vous que les femmes ne sont pas assez prévenues des difficultés et des responsabilités qui vont avec la maternité ?

Sophie : Je pense qu’on ne prévient pas assez des difficultés physiques et mentales qui peuvent aller avec la maternité, en effet. Les saignements longue durée, les vergetures qui s’installent, les organes secoués par l’accouchement, la cicatrisation plus ou moins lente, mais aussi la perte de repères, la chute d’hormones, les phobies d’impulsion, la dépression post-partum (bien différente d’un simple baby blues). Quant à leurs responsabilités, il me semble en revanche qu’on communique bien là-dessus, et que cela d’ailleurs peut augmenter les difficultés mentales en mettant la pression, en appuyant sur la culpabilisation : ta responsabilité est désormais immense, tu as intérêt à être à la hauteur, si tu faillis on ne te le pardonnera pas. 

Camille : Vous parlez du regret maternel, temporaire ou permanent. C’est un sujet encore très tabou. Avez-vous hésité avant d’aborder cela ?

Sophie : Pas du tout. De nombreuses femmes réagissent sur ce point, et je ne vois pas pourquoi on devrait le taire. Le regret de la maternité ne remet pas en question l’amour que l’on porte à ses enfants. Si l’on regrette les conséquences de la maternité, ses contraintes, cela ne veut pas dire que l’on rejette son petit. Il faut bien faire la distinction. Ce n’est pas parce que l’on regrette que l’on est une mauvaise mère.

Camille : D’où vient ce syndrome de l’imposteur, même dans la maternité ?

Sophie : Le syndrome de l’imposteur est surtout féminin, on le constate notamment dans le monde du travail. Chaque nouvelle mère entre dans ce territoire nouveau de la maternité à la suite de sa propre mère et du reste de sa lignée. Et si celles-ci ont tu les difficultés éventuellement rencontrées, comment la nouvelle mère pourrait-elle ne pas penser qu’elle est la première à galérer ? Le silence nourrit le syndrome de l’imposteur, voilà pourquoi il faut parler !

Camille : Est-il possible d’échapper à toutes les injonctions – parfois contradictoires – liées à la maternité ? Comment les combattre ?

Sophie : Je ne sais pas s’il est possible d’y échapper totalement, à moins de vivre sur une île déserte. On peut cependant les limiter en refusant les visites après une naissance, en choisissant la façon dont on est entourée par les professionnel.le.s de santé. Et en apprenant à laisser les injonctions entrer par une oreille et ressortir par l’autre ! Le meilleur moyen est de se faire confiance et de s’écouter, de se fier à son instinct. Si on sent sa confiance en soi faiblir, le ou la partenaire est précieux : d’où l’importance aussi de parler dans le couple, et d’être sur la même longueur d’ondes.

Camille : Cette bd est aussi une ode aux pères ? C’est assez rare.

Sophie : Le père ou l’autre parent de l’enfant, quel qu’il soit, a aussi son rôle à jouer ! La parentalité concerne davantage les femmes dès lors qu’elle passe par leur corps, mais en termes de gestion du quotidien ou d’appréhension des responsabilités nouvelles, les deux parents sont à peu près égaux, nous pourrions donc partager les choses à parts égales. La société commence à pouvoir l’entendre. Et à écouter les pères lorsqu’ils disent, eux aussi, que ce n’est pas forcément si simple.

Camille : Est-ce que la maternité a produit un déclic féministe pour vous ? C’est le cas pour beaucoup de femmes.

Sophie : Je ne le pense pas, j’étais féministe déjà avant. Cependant, sur la question de la maternité qui m’intéressait depuis quinze ans avant que je sois moi-même mère, je me suis sentie légitime, et cela m’a permis d’oser prendre la parole, c’est-à-dire écrire.

Camille : Que faudrait-il pour que les femmes vivent mieux leur post-partum ?

Sophie : Qu’on déconstruise pour de bon le mythe ! Et qu’on accepte, au niveau de la société, que chaque femme vit les choses à sa manière et à son rythme, qu’il n’est pas obligatoire d’être sur pied trois jours après l’accouchement ou de re rentrer dans son jean trois semaines plus tard. Bienveillance et tolérance à l’égard de toutes les femmes, de toutes les mères, à commencer par soi-même.

La Remplaçante, de Sophie Adriansen et Mathou, en librairie depuis le 12 mai, publié aux éditions First, 19,95 euros