Hshouma : une bande dessinée qui détaille les tabous sur le corps et la sexualité au Maroc

L’autrice Zainab Fasiki, artiste et féministe marocaine, présente Hshouma, une bande dessinée aussi belle qu’éducative.


Au Maroc, avoir des relations sexuelles n’est légal que dans le cadre du mariage. L’hétérosexualité est la seule orientation sexuelle acceptée. L’IVG est interdite et être une mère célibataire est un crime. C’est dans ce contexte que la bédéiste crée cet album et prône une liberté plus grande dans un pays qu’elle aime tant mais qu’elle trouvé grevé par le harcèlement et les inégalités.

Elle en a marre « du viol, du harcèlement, du patriarcat, de l’homophobie, des crimes d’honneur, de la violence sexiste, du jugement social, du contrôle de la sexualité et des corps, que l’on impose des idées aux autres, que l’on frappe et tue les femmes libres, les non-musulmans et les homosexuels, et d’avoir peur d’en parler ».

Petit point d’histoire de l’autrice : les Amazighs régnaient au Maroc puis vinrent les Arabes au VIIe siècle et avec eux le début de la domination masculine, du patriarcat. Le Maroc est un pays où les relations sexuelles sont régies par les lois de l’État et par celles de l’Islam. Zainab Fasiki fait le lien entre la frustration engendrée par ses normes et le harcèlement et même les violences sexuelles. Certains avancent que grâce à ces règles, on empêche les problèmes, maintient l’ordre alors que pour elle, c’est ce qui les crée.

Zainab Fasiki déclare son amour pour son pays, le Maroc et pour les Marocains. Elle veut en faire un pays plus libre et donc plus sûr. Ce livre ne veut pas imposer des idées ni même changer les croyances. C’est un plaidoyer pour un pays plus égalitaire, plus juste et plus sain.

La nudité est uniquement associée à la sexualité

Plus une femme se cache et dissimule son corps, plus elle est respectée. « hshouma » signifie qu’il est honteux et illégal d’exprimer certaines pensées et idées. Le corps des femmes est toujours vu par rapport au regard des hommes, couvert pour ne pas exciter, découvert pour être désirable. « Et si l’on regardait les corps d’une manière non sexuelle ? Et si l’on tolérait la nudité dans l’art en arrêtant la censure ? », s’interroge t-elle. La frustration sexuelle est un problème dramatique mais la libération sexuelle devra aller de pair avec l’apprentissage du consentement.

Cette bédé, très didactique, explique aussi les étapes du développement du corps, des gènes, du genre. Elle exprime la nécessité de s’éloigner des étiquettes, pour tout le monde. Son propos est adapté à tout type de lectorat et cela inclut surtout les plus jeunes des lecteurs ou les moins instruits. Elle revient sur tous les genres et toutes les orientations sexuelles.

Ainsi, avec des dessins forts et un texte simple, elle rappelle les bases pour les plus jeunes, de l’anatomie notamment, et nous amène au développement d’une réflexion plus fine, mêlant tendresse et lucidité, sur les maux de son pays.

Les corps sont représentés avec beaucoup de vérité et les divers sujets (la masturbation, les règles) sont abordés sans tabous. Elle enjoint à plus de sensibilisation sur la contraception et les maladies sexuellement transmissibles.

Pour endiguer les violences sexuelles, pour une société plus égalitaire et pour l’épanouissement de chacun·e, l’autrice préconise de mettre fin aux dissimulations, aux frustrations et aux injonctions contraires. Les femmes sont les grandes perdantes d’une société où elles reçoivent des directives contraires, ne pas susciter de désirs mais à la fois séduire, où elles vivent de la frustration (sexuelle ou autre, du fait de leur genre ou de leur orientation) et surtout subissent celle des hommes ainsi que leur violence.

L’autrice met l’éclairage sur une société pleine de contradictions, où les hommes peuvent multiplier les conquêtes et où les femmes doivent rester vierges avant le mariage, où elles doivent se cacher mais être séduisantes, où les victimes de harcèlement sont souvent jugées comme les coupables.

L’autrice, née en 1994, qui a grandi à Fès, a fait des études d’électricité et de mécaniques et a commencé en parallèle à dessiner des bd dès ses 16 ans.

Elle a créé le collectif Women Power qui encourage les femmes artistes marocaines via des ateliers. Grâce à Shmoua, ce projet qui vise à briser les tabous au Maroc et surtout la façon de voir la sexualité et les femmes, elle a été primée par Amnesty International pour ses combats en 2018 à Rabat.

Dans cette bande dessinée, foisonnante mais plus qu’abordable, elle évoque aussi sa propre histoire, élevée en tant que fille, dans une famille et un quartier conservateur, elle est maintenant vue comme « une salope ». C’est un livre courageux.

C’est parce qu’elle aime son pays et sa culture que Zainab Fasiki se dit prête à faire tout ce qu’elle peut pour dénoncer les tabous qui font chaque jour des victimes et dire ce que la plupart des Marocains ne peuvent exprimer.