Déraillée de Jo Mouke et Julien Rodriguez, un plongeon dans la dépression, l’addiction et l’internement

Suite à une nouvelle tentative de suicide, Pénélope Renard se fait interner de son plein gré dans un hôpital psychiatrique dans le but de soigner sa dépression et son addiction. La jeune Parisienne y livre son parcours sous la forme d’un journal de bord, où l’espoir et les désillusionnements s’entremêlent. Déraillée est la première bande dessinée, non seulement des auteur·e·s Jo Mouke et Julien Rodriguez, mais aussi des éditions Le Passager clandestin spécialisées dans la publication d’essais. Ils nous livrent un récit brut et émouvant, basé sur une histoire vécue.

© Studio Kokanas

« J’ai perdu le réconfort et la dignité dans les limbes de la chimie médicamenteuse soi-disante salvatrice. Je cherchais l’humanité dans l’enfermement, j’ai trouvé la solitude. » C’est un jour de Saint-Valentin que Pénélope se présente aux urgences psychiatriques dans un centre hospitalier, en compagnie de son copain, David. Ce sont trois ans de consommation quotidienne et une nouvelle tentative de suicide qui l’amènent en ce lieu. Lorsqu’elle doit énoncer la raison de sa venue, elle prononce pour la première fois le mot « toxicomanie ». Mais l’internement ne va pas offrir la prise en charge que Pénélope espérait trouver. Ce sera le début d’un parcours long et difficile qu’elle retrace avec vulnérabilité dans son « journal de l’HP-kistan ».

L’internement, ainsi que la prise de conscience qu’il amène, déclenchent un processus psychologique d’une violence inévitable. Impossible d’échapper à ses démons et cravings – que l’héroïne imagine prenant la forme de lémuriens – quand on est enfermée. Le soutien apporté par les proches, qui ignoraient la toxicomanie de Pénélope, est teinté de culpabilité et de maladresse (« Pourquoi tu ne m’as rien dit, à moi ? » demande sa meilleure amie Daniela lors de sa première visite, pendant que son copain insiste qu’elle se sentirait mieux « au vert » chez lui, dans le sud, qu’à l’hôpital). Mais Pénélope tient bon, elle sait que c’est la seule voie pour elle.

Pourtant le corps médical est quasi absent et la jeune patiente se trouve principalement livrée à elle-même. « Je ne me sens pas aidée… entre les infirmières qui t’infantilisent, les aides-soignantes de mauvaise composition et le psy condescendant qui te reçoit vaguement cinq minutes … Quoi demander ? À qui ? Quand ? Comment ? C’est comme si on était dans un pays sans parler la langue… » déplore-t-elle. 

Les failles du système hospitalier se font plus marquantes lorsqu’elle apprend qu’il y a un département d’addictologie à l’étage du bas, mais que s’y faire transférer relève du parcours du combattant. Des démarches complexes qui semblent être insurmontables, surtout pour une personne vulnérable.

Les dessins en bichromie aux nuances violettes et traits vifs de Julien Rodriguez retranscrivent avec authenticité l’odyssée de l’héroïne aux prises avec le doute et l’angoisse, ainsi que son désarroi face à un chemin semé d’embuches. L’autrice Jo Mouke (qui utilise ici un nom d’emprunt) précise que ce récit immersif est autobiographique, et que « tout est vrai sauf ce qui a été inventé ». Son regard subjectif et décalé apporte puissance à une expérience trop peu documentée, et met en lumière des sujets certes difficiles mais d’utilité publique.