Une histoire culturelle et visuelle des sorcières passionnante

La figure de la sorcière peuple notre imaginaire collectif. Qu’elle soit effrayante, fantasmée ou politique, elle a voyagé à travers les époques en marquant notre histoire et notre culture. Dans Les Sorcières – Une histoire de femme, un ouvrage illustré issu d’une série diffusée dans « La Série documentaire » sur France Culture, Céline du Chéné se penche sur ce qui unit les sorcières au-delà des siècles et présente une analyse moderne des multiples vies de cette figure fascinante. En se basant sur une multitude de références littéraires et artistiques, des extraits d’archives et des récits et témoignages divers, l’autrice rend hommage à ces femmes dont le pouvoir dérange.

Chasse aux sorcières

Cet ouvrage débute avec le procès de Michée Chauderon, la dernière femme accusée de sorcellerie à être exécutée à Genève, et décrit par ce biais la misogynie qui est profondément imprégnée dans la chasse aux sorcières. Guérisseuses, sages-femmes, veuves ou célibataires : ces femmes incarnent le mal absolu aux yeux de ceux qui détiennent le pouvoir – les hommes.

Cette violence envers les femmes s’institutionnalise progressivement, notamment au travers de nombreux traités et ouvrages, tel que le triste best-seller du XVe siècle, le Malleus Maleficarum (“Marteau des sorcières”), une sorte de manuel d’information pour inquisiteurs. L’aspect “anti-féminin” de cet ouvrage est évident : “Femina […] viendrait des termes Fe [“Foi”] et minus [“moins”] car toujours elle a et garde moins de foi. […] C’est donc une mauvaise femme, qui par nature doute plus vite dans la foi, plus vite abjure la foi, ce qui est fondamental chez les sorcières.” La suite, on la connaît : le stéréotype de la sorcière comme une femme diabolique qui s’unit avec les forces du mal durant le sabbat perdurera durant des siècles.

Le savoir magique des sorcières

Céline du Chéné ne se penche pas seulement sur l’histoire de la persécution des sorcières, mais aussi sur leur pouvoir magique. Dans le deuxième chapitre, il est question de chamanisme, de plantes, de “batailles nocturnes”, mais aussi du témoignage d’une sorcière moderne, Katell. Ainsi, en donnant la parole à une personne incarnant le pouvoir magique, Christine du Chéné montre que la figure de la sorcière peut surpasser sa dimension historique. C’est une forme de libération de la parole, en dehors du carcan théorique. On passe d’une figure harcelée, persécutée, perçue comme une victime passive à une figure qui détient un savoir et un pouvoir. L’anthropologue Jeanne Favret-Saada explique par ailleurs que “la sorcellerie était si mal vue à l’État, la Justice, l’école, l’Église, que personne n’aurait accepté d’avouer publiquement qu’il y croyait ou qu’il y avait recours.” Ce qui a toujours existé mais à couvert, commence donc à se manifester de manière plus publique, amenant une certaine légitimité aux “panseurs de sort”, “magnétiseurs”, “guérisseurs” et autres.

La figure de la sorcière dans les arts

On ne peut parler de la sorcière sans mentionner son impact culturel. Le cinéma, les séries, la littérature, la peinture, le monde des spectacles regorgent de représentations variées, parfois même contradictoires de cette figure. Elle est mère de famille (Ma Sorcière bien-aimée), elle combat le mal (Charmed), ou elle lit en abondance (Hermione dans Harry Potter) : en somme, la sorcière remplit des rôles multiples. Mais la création de ce personnage de fiction remonte à beaucoup plus loin que ces quelques exemples modernes. Déjà dans la littérature gréco-latine, on retrouve Circé, déesse de Magie et Divination, “qui transforme en pourceaux les compagnons d’Ulysse à travers un philtre” et Médée, qui maîtrise l’art des onguents. Dès l’Antiquité, la sorcière est menaçante et diabolisée.

Plus tard, entre le XVIe et XVIIe siècle, les scènes de sabbat sont pivotales dans les opéras. La sorcière, tantôt amusante, tantôt ébahissante, incarne deux formes contraires avec “la jeune sorcière séduisante” ou alors “la vieille femme monstrueuse.”

C’est l’historien français Jules Michelet qui va fondamentalement changer cette perception, largement construite par l’Église, avec son livre Les Sorcières publié en 1862. Sous sa plume, la figure de la sorcière devient romantique et rebelle, et incarne “une force positive.” Céline du Chéné, à force de références et d’exemples, démontre que les représentations de la sorcière sont légion et investissent tous les champs culturels et artistiques.

Sorcières politiques et féministes

Quel cheminement a amené les sorcières, soit persécutées, soit cantonnées à des rôles fictifs, à devenir les symboles d’une lutte politique et féministe ? La sorcière, femme en marge de la société, incarne une révolte nouvelle. Au sein de mouvements divers, elle combat le patriarcat, l’hétéronormativité ou le capitalisme. Politique et formules de sorcière se mêlent à mesure que les femmes battent le pavé et réinvestissent l’espace public dont elles ont été exclues. Ces rassemblements à forte dimension symbolique ont attiré l’attention des foules et des médias, et ont apportés un vent de fraîcheur aux luttes féministes. 

Des ouvrages littéraires marquants, tel que Rêver l’obscur, femmes, magie et politique de Starhawk (qui est d’ailleurs interviewée dans ce livre), lient le spirituel et l’intellectuel. Dans ces milieux qui paraissaient être aux antipodes, la figure de la sorcière est “comme un trait d’union,” un symbole de fierté et de revendication politiques. 

Les Sorcières – Une histoire de femme est parfait pour les néophytes qui s’initient à l’univers des sorcières, mais peut par contre laisser les lecteurs plus aguerris sur leur faim. Céline du Chéné couvre tout de même une histoire qui s’étend sur plusieurs siècles et ne peut par conséquent pas offrir une analyse exhaustive et en profondeur de chaque terme abordé. Ainsi, cette histoire illustrée est plutôt à voir comme un ouvrage qui propose une vision générale, engagée et vitalisante du thème des sorcières.