L’amour après #MeToo : un manuel pour une séduction féministe

Ce livre a été publié aux éditions Hachette et peut être emprunté à la Féministhèque.

L’amour après #MeToo, écrit par la journaliste et autrice Fiona Schmitt, analyse les rapports femmes/hommes et la séduction dans une ère post-MeToo (petite précision : on se place dans le cadre de relations hétérosexuelles, seul petit bémol). Elle donne des conseils, notamment aux hommes, pour une séduction respectueuse, sans enlever néanmoins le piquant et l’excitation. Ce manuel – pour une drague saine, équitable et joyeuse – explique comment passer de la zone grise à la zone rose.

Ce livre décrit également les inégalités femmes/hommes, et rappelle un rapport de domination, toujours au détriment des femmes, et des minorités de façon générale. Ces petites mises au point chiffrées et détaillées sont importants car les privilèges sont bien souvent invisibles aux yeux de ceux qui en bénéficient. Destiné de prime abord aux hommes, ce petit guide peut aussi être bien utile aux femmes, notamment pour répondre à des personnes qui ne seraient toujours pas conscientes du sexisme et qui verraient le féminisme comme une lutte qui n’est plus à mener.

Pour que les rapports de séduction ne soient pas considérés comme un « mur de Berlin », une « barrière de corail » avec des « requines qui rôderaient derrière », elle donne des tips et procède au rappel de règles fondamentales, notamment sur le consentement. Elle fait très justement remarquer par ailleurs que le sens premier du terme « consentement » renvoie plutôt au fait de consentir, de laisser faire. En somme, ce serait disposer de ce que l’homme (dans la plupart des cas) propose. Les femmes ne peuvent-elles pas être à l’initiative de relations ? Ne peuvent-elles pas exprimer volonté et désir ? Si seulement les femmes pouvaient draguer sans être considérées comme des filles « faciles », sans perdre d’un seul coup respect et charme… Pour Geneviève Fraisse, déjà en 2017, la notion de consentement est plus que nécessaire à faire comprendre à tous mais repose sur une sémantique archaïque.

La culture du viol, détaillée et explicité dans le passionnant livre de Valérie Rey-Robert Une Culture du viol à la française, est également abordée dans cet ouvrage. Elle consiste entre autres à faire de la femme la responsable par nature des mauvais traitements qui lui sont infligés et l’homme un porc par nature. À ce sujet, l’article de Maïa Mazaurette « La culture du viol, un concept pour en finir avec notre fatalisme », dans Le Monde, est également fort éclairant. Les chiffres donnés sont effarants. Fiona Schmidt revient aussi bien sûr sur l’ahurissante tribune sur la liberté d’importuner menée par Catherine Deneuve ainsi que sur le livre de Brigitte Lahaie et sur ses dires sur le viol.

Fiona Schmidt contextualise son propos et donne néanmoins à voir une société qui a changé, qui donne plus la parole aux femmes, après l’onde de choc qu’a été l’affaire Weinstein. Alors que les femmes étaient souvent réduites au silence, dans le milieu professionnel, dans l’espace public, « depuis des millénaires, la parole des femmes dans l’espace public est régulièrement interrompue, voir carrément confisquée par des hommes paternalistes un peu casse-ovaires à la longue. Quelques exemples parmi tant d’autres illustrent assez bien le ‘manterrupting’ ou le ‘mâle-terruption’ qui consiste pour un homme à couper la parole à une femme : les hommes accaparent 75 % du temps de parole durant les réunions en entreprises, les femmes médecins sont interrompues deux fois plus souvent que leurs confrères de sexe masculin, tout comme les femmes travaillant dans le domaine de la technologie ». On peut aussi lire au sujet de la place des femmes dans l’espace public durant l’histoire, cet ouvrage passionnant : Les Femmes et le Pouvoir, un manifeste, de Mary Beard.

L’amour après #MeToo est le genre de livres qui fait que la domination masculine est de plus en plus à bout de souffle. Cela participe à l’affranchissement « des rôles stéréotypés, des règles liberticides, des normes absurdes et des modèles réduits à leur plus simpliste expression de la virilité. » L’autrice donne également (et néanmoins) son point de vue sur la galanterie, qui n’est pas à son sens à bannir et à rejeter absolument.

Pourquoi certains hommes rejettent le féminisme ?

Des hypothèses intéressantes sur le silence de beaucoup d’hommes et sur leur non-prise en considération des violences sexistes sont avancées : « Les harceleurs […] ne frappent que les femmes tout en restant invisibles aux yeux des hommes » (lol), « Ils s’en fichent », « Ils se sentent vaguement coupables », « Ils ont peur d’être exclus du groupe dominant », « Ils écoutent, tout simplement ».

Elle s’emploie à détricoter des réponses assez peu valables : « Mais je ne le savais pas » (ce qu’avance George Clooney par exemple, oui, bien sûr…) ; « On n’est pas tous comme ça » (l’idée n’est évidemment pas de généraliser), « ça arrive aussi aux hommes » ( « 96 % des victimes d’agression sexuelle sont des femmes », alors pourquoi hiérarchiser des luttes dont les droits des femmes sont toujours perdants), « ça n’arrive pas ici » (or le harcèlement sexuel concerne toutes les catégories socio-professionnelles), « on ne peut plus rien dire » (si, il reste tout un tas de sujets), « Attention aux dérapages » (certes mais ils restent assez restreints, proportionnellement) « Vous détestez les hommes, de toute façon » (non, on n’aime pas les inégalités), « Une main au cul et un viol, c’est pas pareil » (c’est tout à fait vrai mais cette hiérarchisation participe à la culture du viol), « On peut passer à autre chose maintenant ? » (sauf que le problème n’est absolument pas réglé).

On ne naît pas homme, on le devient : boîte à outils de l’homme sexy

Fiona Schmidt s’adresse directement aux lecteurs avec bienveillance et pacifisme, en se défendant de faire un procès aux hommes et à la masculinité. Elle s’attelle à un examen de conscience, ce que chacun devrait faire.

Il ne s’agit pas de prodiguer des recettes miracles, juste des conseils pour agir avec respect. Elle avance néanmoins quelques conseils pratiques, remplis de bon sens et d’humour. Ne plus considérer les femmes comme « des trophées ni des cibles à atteindre, pas plus que des défis à relever, des ennemies ou des corps vides et inutiles dès lors que vous ne pouvez pas les remplir. » Tout débute par des recommandations sur la manière d’agir suivant le lieu de rencontre : par l’intermédiaire d’amis ou de connaissances communes, au travail, sur une appli/un site de rencontre, dans un lieu public (restaurant, bar, boîte, patinoire, file d’attente de space mountain, etc.), elle enchaîne sur les moyens de créer des affinités ; et enfin sur les outils pour donner et avoir des orgasmes (partie fort détaillée composée de réflexions sur le désir, de descriptions anatomiques, des vrai/faux sur les idées reçues et fausses croyances, une partie sur « La revanche du clito »).

La  partie sur la hiérarchie des masculinités est également fort intéressante et permet de remettre en question l’idéal normatif de la virilité. Les hommes, avant parfois d’en mettre aux autres, subissent également beaucoup de pressions. Des rites de passages, des injonctions à la force, une obligation d’assurance… Heureusement, une nouvelle génération d’hommes vient renouveler une certaine masculinité – encore trop souvent « toxique » : Eddy de Pretto, Justin Baldoni, etc.

Plus d’égalité dans les rapports de séduction et le sexe

Comme cela a été évoqué dans la partie sur le consentement, le schéma selon lequel les hommes sont désirants et les femmes sont désirables est simpliste et néfaste. Cela prive souvent les femmes de l’expression de leurs envies, de la possibilité de s’épanouir… Contrairement à ce qui est encore trop souvent admis, les hommes n’ont pas une libido plus forte que celle des femmes.  

Fiona Schmidt, grâce à cet ouvrage drôle et documenté, réussit avec brio à insuffler de la légèreté dans un sujet qui n’en comporte pas vraiment, avec beaucoup d’humour et une plume vive et incisive. Les références sont bien choisies et les sources nombreuses. Elle émaille les réflexions générales d’histoires personnelles, dans lesquelles on peut se reconnaître – de l’arrivée de ses règles (trop tôt selon l’infirmière scolaire) à sa première fois, en passant par ses premiers émois sensuels devant la télévision. Un livre qui instruit et qui réjouit à la fois !