L’Ardeur, la collection qui donne chaud (5) : Queen Kong d’Hélène Vignal

Créée en 2019, la collection L’Ardeur a l’ambition de proposer aux adolescent.es de plus de 15 ans une alternative à la culture du porno en guise d’exploration des sexualités. Les personnages sont des ados ou de jeunes adultes qui vivent, souffrent, jouissent, hésitent, questionnent leur désir sous toutes ses formes.

Missives vous emmène en terres érotiques adolescentes. Histoire de voir du pays pubère.

Queen Kong d’Hélène Vignal

« Alors ça y est j’en suis une. Une vraie. Une belle. Une grosse. Une sacrée. C’est pilonné dans les commentaires que je lis debout dans ma chambre. » Avec cette entrée en matière, impossible de ne pas se souvenir de Despentes qui écrit depuis chez les moches dans son manifeste King Kong Theory. Et dans ce pendant féminisé du titre de la papesse du féminisme Queen Kong, on débarque comme les messages d’insultes débarquent sur le téléphone de l’héroïne, comme des intrus indésirables qui forcent l’intimité d’une chambre d’adolescente un soir tourmenté où la meute des lycen.nes a décidé de se lancer dans une campagne de slut shaming en bonne et due forme, histoire de rappeler que certaines règles ne se transgressent pas et que la liberté sexuelle est encore une douce illusion dans les années 2020.

Que reproche le groupe à cette jeune fille de 15 ans ? D’avoir goûté plusieurs peaux, plusieurs sexes et d’avoir aimé ça. Et pour ce plaisir volé à la décence, parce qu’elle a « choisi d’écouter ce qui bat en [elle] », elle hérite d’émojis de vomi vert, et de tête de mort : un flot incandescent de haine comme les réseaux sociaux savent nous gratifier quand ils prennent peur que les choix individuels salissent la réputation du collectif. Il est essentiellement question de face sociale, d’auto-détermination et de libre arbitre dans ce roman qui s’appuie sur les premières expériences sexuelles d’une ado sans tabous déterminée à « ouvrir » son sexe encore fermé de l’enfance :

Chacun de mes anciens potes fait tomber des barreaux autour de moi pour planter une cage et m’isoler. Mais contrairement à ceux qu’on harcèle pour rien, moi je sais ce qu’on me reproche. Et je sais pourquoi ça les rend fous. Parce que je me suis comportée comme la plupart des mecs. Ouais. J’ai baisé quand je voulais, qui je voulais, j’ai quitté tout de suite après, j’ai choisi sans attendre d’être choisie. Et ça, ils aiment pas.

Mais la franchise qu’elle adopte avec ses partenaires ou les déceptions qu’elle ne peut taire quand la sexualité laisse un goût d’inachevé lui coûtent cher. Elle transgresse la loi du groupe ; c’est la sexualité du garçon qui est celle qu’on valorise, qu’on glose, qu’on brandit, pas celle des jeunes filles qui prennent davantage la place de figurantes à qui on ne demande pas vraiment leur avis pendant l’acte sexuel, que celle de véritables alter ego. Pourtant l’héroïne, consciente que la liberté implique la solitude, ne cède pas à la pression des lyncheurs et en cette soirée assourdissante où les hélicos vrombissent dans la nuit enflammée, elle coupe les dernières attaches qui la relient encore à l’enfance. Elle rejoint définitivement le monde adulte dans une scène finale épique – que je me refuse à déflorer -, où nouvelle communauté, nouveaux codes et nouvelles identités l’attendent. Queen Kong, c’est l’histoire fulgurante sur quelques heures d’un adieu à l’enfance et au vertige que la prise de risque nous réserve quand on se lance à l’assaut de sa liberté. Un monologue cru et percutant de 80 pages. Haletant. Magistral. Pépite d’or au salon du livre jeunesse de Montreuil 2021.

Une rencontre littéraire exceptionnelle sur la littérature adolescente érotique

Jeudi 30 novembre à 19h30 chez libertalia, Missives reçoit Charline Vanderpoorte (L’ardeur) et Hélène Vignal (autrice) : elle unit ses forces à celles qui contrent l’obscurantisme d’un monde qui veut réduire au silence ce qui sauve, ce qui émancipe, ce qui bat fort au fond de nos ventres. Manu Causse, l’un des auteurs de la collection « L’ardeur », s’est vu cet été interdire aux mineurs son livre Bien trop petit, publié un an auparavant en 2022 au prétexte que des scènes explicites pourraient heurter la sensibilité d’un jeune lectorat et pervertir la jeunesse selon l’arrêté du 16 juillet 1949 et présenter « un danger pour les mineurs qui pourraient l’acquérir ou le consulter ». Face à Gérald Darmanin, Thierry Magnier l’éditeur de la collection réaffirme le rôle capital des livres dans la construction de l’identité, sexuelle a fortiori à l’adolescence : « À l’heure où la consommation d’images pornographiques violentes et sexistes explose chez les plus jeunes, à l’heure où l’éducation à la sexualité peine à exister, il nous semblait au contraire essentiel d’oser proposer à nos lecteurs et lectrices, grands ados et jeunes adultes, des œuvres littéraires traitant avec soin et conviction de ces enjeux cruciaux. » (cité sur le site Actualitté)L