À toutes les femmes, la patrie reconnaissante : Toi, moi, nous de Marie-Émilie Michel et Nathalie Matti

Marie-Émilie Michel, contributrice Missives qui nous gratifie chaque mois de la capsule sonore Entre nos lignes, est désormais co-autrice avec sa comparse Nathalie Matti d’un livre intitulé Toi, moi, nous paru aux éditions Frison-Roche : autant dire que chez les Missives, on en n’est pas peu fières !

Penchons-nous un peu sur l’histoire de ce texte qui mérite d’être élucidée : le collectif Lilalune etc, implanté dans la commune de Colombes, associé à d’autres collectifs regroupant metteures en scène, chorégraphes, scénographes, autrices, journalistes, compositrices, a travaillé pendant un an avec deux cents femmes de Colombes (des amatrices donc, de tous les âges) à l’élaboration d’un spectacle sur le corps des femmes dans l’espace public. Après des heures de travail, le résultat de ce formidable spectacle participatif a été joué… au Panthéon le 25 septembre 2021 sous le titre Présentes ! Excusez du peu.

Alors certes, on peut toujours faire un gros doigt d’honneur au patriarcat et à ses ardents défenseurs, dire merde au Panthéon et à ses grands hommes, continuer à tracer nos routes dans les chemins de traverse, revendiquer les lignes obliques, retourner le stigmate et faire des marges le centre incandescent de nos vies. Il n’empêche. Il n’empêche que les symboles comptent. Alors entrer dans la forteresse, se placer bien au milieu et y dire ce qu’on a à dire, voix haute, tête haute et main dans la main avec les copines, ça a du chien. Surtout quand il s’agit d’une soixantaine de femmes, amatrices, habitantes de cette banlieue parisienne qui charrie son lot de fantasmes, soixante femmes qui ouvrent la porte en grand d’un lieu dont le fronton indique, faut-il le rappeler ? Aux grands hommes la patrie reconnaissante. J’entends d’ici ergoter les ergoteurs qui essaieraient de m’expliquer que les hommes est un mot neutre et universel pour désigner les humains blablabla. 81 personnalités panthéonisées à ce jour depuis 1806, 75 hommes, 6 femmes. Les chiffres sont imparables. Non seulement elles sont présentes, mais en plus elles y sont entrées vivantes : chapeau !

Toi, moi, nous est donc le résultat textuel et forcément figé de cette aventure humaine qu’on imagine mouvante, éreintante comme le sont toutes les aventures collectives, riche de rencontres et de fulgurances, travaillée par les doutes, forte de tous les possibles ouverts à celles qui y ont participé. En forme de pièce chorale, le texte est divisé en plusieurs parties qui suivent les différents âges de la vie et étapes majeures liées à ce corps de femme qui n’en peut plus de subir les injonctions de tout ordre mais avec lequel on parvient, parfois, à se réconcilier :

« Puis un jour, j’ai compris que peut-être, le corps, on pouvait rien faire contre, on pouvait pas s’y opposer, fallait le laisser vivre sa vie de corps, en autonomie, lui foutre la paix.

Je l’ai lâché, j’ai pris des vacances de corps, je lui ai payé un hamac sous les palmiers, je l’ai trempé dans l’eau tiède et douce, je l’ai caressé, humé, je l’ai accueilli, avec sa marée haute, avec sa marée basse, ses colères de corps, son désir, sa peau, son sang – je l’ai aimé. »

Les règles, la honte, le corps de fillette qui devient femme et qui comprend que l’existence ne sera plus la même désormais, qui comprend aussi que l’égalité est une berceuse destinée à endormir nos colères mais dont on découvre un jour l’irréalité :

« Rien à se reprocher, les gars, on a les mêmes chances, la même école et la même cour de récré. Les mêmes notes au bac et aux concours d’entrée. C’est le pire mal qu’on a pu me faire, me faire croire à ça, à l’égalité. Quelle grande supercherie.

Et puis un jour, on se rend compte qu’on n’attend pas tout à fait les mêmes choses de nous, qu’on resterait à la maison, ça ne dérangerait pas grand monde (…) »

Les textes issus d’ateliers d’écriture pour certains donnent corps (et voix) aux expériences à la fois multiples et universelles. J’ai ressenti une émotion particulière à la lecture des témoignages de femmes âgées en fin de recueil, prises de paroles individuelles ou collectives, qui retracent les luttes dont nous sommes les héritières, rappellent le chemin parcouru et celui qu’il reste à parcourir. Un passage de flambeau, une main sur nos épaules pour continuer à avancer ensemble.

Chœur

-La méthode Ogino ! Ouh la… Autant croire au père Noël !

-Fallait les voir sur les tables de cuisine.

-C’était effroyable.

-Épouvantable.

-Catastrophique.

-De souffrance.

-Les tables de cuisine.

-Parfois, c’était le mari qui s’y collait.

-Ah, j’en ai vu moi, des mannequins, des filles magnifiques – une boucherie.

-Fallait pas me faire une conférence.

-Effroyable.

-De souffrance.

-Les tables de cuisine.

-La loi Veil, tout le monde la voulait.

-Tout le monde ?

-Toutes les femmes.

-Quel soulagement.

-Crac-crac, biscotte le mari !

-On a soufflé.

-Respiré.

-Enfin.

-Une libération ?

-La ménopause ?

-Peur de vieillir ?

-Non, pourquoi ?

Alors bien sûr, en refermant le livre, on regrette d’avoir manqué le spectacle, on espère qu’il sera joué encore, au Panthéon ou ailleurs pour qu’on aille vibrer avec ces femmes qui nous ressemblent. Mais on se dit aussi que cette transcription est un formidable outil de travail pour lancer des ateliers d’écriture, un texte facile à s’approprier et à décliner à l’infini, dans les milieux militants, cercles de femmes, maisons de quartiers, mais aussi avec des élèves en classe, pour qu’on soit partout, tout le temps… présentes !