La Sans-visage, de Louise Mey : un roman ado sur le harcèlement

Après avoir publié plus tôt dans l’année La Deuxième Femme, thriller qui abordait le sujet important pour Louise Mey des violences conjugales, l’autrice nous a offert un deuxième roman, publié cette fois-ci à L’École des loisirs et sorti, après plusieurs faux départs liés à la crise sanitaire que l’on sait, début juin 2020. Son titre : La Sans-visage.

L’histoire se déroule en colonie de vacances. Clara, adolescente banale qui se réjouit de l’être car cela lui permet de naviguer dans la vie sans trop se faire remarquer ni avoir d’ennuis, a travaillé comme une mule à grands coups de baby-sitting pour pouvoir se payer les vacances en colo de ses rêves avec sa meilleure amie. Comme dans toutes les colos, elle y trouve le moniteur plus ou moins porté sur l’encadrement des jeunes, la bande des filles populaires qui ne se connaissaient pas avant de monter dans le bus mais sont devenues inséparables à la seconde où le chauffeur a démarré, leur pendant masculin qui surjoue la virilité pour se faire repérer par les premières, et Eléonore. Eléonore, c’est cette fille sur laquelle va se cristalliser la haine des autres, sans aucune raison. Celle qui, alors qu’elle n’en finit pas de se faire toute petite, prendra toujours trop de place. Sauf qu’un jour voilà : Eléonore disparaît.

Si l’histoire se déroule à travers le regard de Clara, c’est Eléonore qui se taille en creux la place de personnage principal. Par son existence, puis par sa disparition et l’enquête qui s’ensuit, c’est elle qui concentre toute l’attention des adolescent·es et des lecteur·ices. Le mécanisme utilisé par Louise Mey, s’il paraît classique au premier regard, est en réalité beaucoup plus pointu qu’on ne pourrait le croire. En accordant le rôle de narratrice à un personnage qui ne participe pas activement au harcèlement d’Eléonore mais en est témoin, l’autrice élargit le cercle des responsabilités. La gêne ressentie par Clara vis-à-vis de sa camarade, l’hostilité qu’elle peut lui témoigner en secret ne trompent pas : elle est, et elle le sait, responsable d’avoir fermé les yeux sur ce qu’il se passait.

La position dans laquelle se trouve le lectorat est alors inconfortable mais essentielle. Via Clara, celles et ceux qui tiendront le livre entre leurs mains — et à qui l’on souhaite de n’avoir jamais été ni harceleur·euses, ni harcelé·es — sont invité·es à réfléchir sur leurs propres responsabilités dans les effets de meute. Le harcèlement scolaire et par extension, le harcèlement chez les adolescent·es, étant si tristement répandu, nul doute que tout un chacun a déjà été confronté à cette question au cours de sa propre adolescence. Et si on est prompt à se flatter de n’avoir jamais harcelé qui que ce soit, peut-on réellement dire qu’on n’a jamais ri à une saloperie balancée à la tête d’une victime ? Que, comme Clara, on n’a jamais été content·e que ça tombe sur un·e autre, parce que ça veut dire que ça ne tombe pas sur soi ?