Beauté fatale, de Mona Chollet : les nouveaux visages d’une aliénation féminine

Écrire un livre pour critiquer le désir de beauté ? « Il n’y a pas de mal à vouloir être belle ! », m’a-t-on parfois objecté lorsque j’évoquais autour de moi le projet de cet essai. Non, en effet : ce désir, je souhaite même le défendre. Le problème, c’est que dire cela à une femme aujourd’hui revient un peu à dire à un alcoolique au bord du coma éthylique qu’un petit verre de temps en temps n’a jamais fait de mal à personne.

Dans cet essai complet et mordant, Mona Chollet aborde différents thèmes et paradoxes que l’on retrouve au quotidien dans nos vies de femmes. Le paradoxe d’une société qui met en avant le pouvoir de séduction de la femme libre de ses choix, qui assume un style « à elle » mais avec très peu de marge de manœuvre et seule une poignée d’opportunités… Paradoxe aussi de la femme à qui l’on demande d’être toujours soignée et pimpante, épilée de près, remise très rapidement d’une grossesse mais dont on va allègrement se plaindre du temps qu’elle passe dans la salle de bain…

À grand renfort d’articles et d’exemples piochés dans la presse féminine, le cinéma, les séries télévisées, l’auteure nous montre à quel point, contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, nous sommes extrêmement conditionnées à aspirer à un certain idéal de beauté. Dès le plus jeune âge, il est question de concours de mini-miss, d’habiller nos filles avec des bodys imprimés « mignonne », « jolie », « amoureuse », quand du côté de nos garçons ce sera plutôt « fort », « déterminé », « vaillant »…

Elle développe un long chapitre sur l’injonction à être mince avec la représentation des femmes dans le paysage télévisuel, une véritable discrimination à l’embauche, les félicitations qui abondent à la moindre perte de poids ou encore le fameux « laisser-aller » qui caractérise péjorativement les quelques kilos « en trop ».

On réfléchit aussi au rôle des femmes dans la perpétuation de cette pensée unique, la cage dorée du monde de la beauté qui est le domaine de prédilection dans lequel les femmes sont particulièrement valorisées, occupent des postes importants (ou tiennent des blogs, chaînes YouTube de renom) et qui contribuent elles-mêmes à créer des normes restrictives et diktats auxquels se soumettre.

Mona Chollet aborde également de façon particulièrement juste et éloquente le sujet épineux de la chirurgie esthétique. Aider les femmes à se sentir mieux dans leur peau paraît bien sûr tout à fait louable mais au fil des pages on se rend compte une nouvelle fois que ce qui devrait être un choix intime et personnel est encouragé par la société dans laquelle nous vivons à force de couvertures de magazines, banalisation des effets délétères que peuvent causer une chirurgie, dichotomie corps/esprit…

Malgré les sept ans qui nous séparent de la parution du livre, il reste encore tristement d’actualité sur la majorité des sujets abordés, avec notamment l’affaire Polanski qui fait encore débat ces derniers jours avec la sortie toute récente de son dernier film en salles.

En bref, un essai très intéressant qui balaie différents sujets qui mériteraient un livre à eux seuls, comme notamment le racisme qu’il peut y avoir dans le monde de la mode et le peu de représentations qu’ont les femmes noires pour s’identifier, le désir de jeunesse éternelle, et bien sûr le fait de trop souvent mettre l’apparence d’une femme en avant en laissant de côté le reste.

Non, décidément, « il n’y a pas de mal à vouloir être belle ». Mais il serait peut-être temps de reconnaître qu’il n’y a aucun mal non plus à vouloir être.

Mona Chollet est également l’auteure de Chez soi paru en 2015 et Sorcières en 2018, ce dernier ayant fait l’objet d’un article sur Missives.