Sorcières, Mona Chollet : les witches reprennent le pouvoir

« La sorcière incarne la femme affranchie de toutes les dominations, de toutes les limitations ; elle est un idéal vers lequel tendre, elle montre la voie. »

Dans cet ouvrage fouillé mais accessible, Mona Chollet revient sur l’extermination en Europe de près de 100 000 personnes accusées de sorcellerie à La Renaissance. Journaliste au Monde diplomatique, elle est déjà l’autrice de deux livres passionnants, Beauté fatale sur les diktats imposés aux femmes et Chez soi qui s’intéressait à notre rapport à nos lieux de vie.

Dans cet essai captivant, elle revient sur la figure de la sorcière, brulée parce que trop indépendante, trop instruite, trop effrayante et dangereuse. La misogynie était bien souvent placée au cœur des persécutions. L’autrice fait des parallèles avec notre époque actuelle, où la volonté d’indépendance des femmes n’est pas forcément bien vue.

Des injonctions permanentes

Mais enfin, pourquoi ne pas vouloir d’enfant ? À quoi va servir votre vie, si ce n’est pas pour éduquer une descendance ? Comment ça, vous ne voulez pas vous teindre les cheveux, alors qu’ils blanchissent ? La vie de célibataire avec un chat vous convient et cela ne vous rend pas la plus malheureuse du monde ? Alors, vous avez peut-être des choses à voir avec les sorcières. L’indépendance, le non-désir d’enfant ou la vieillesse font toujours poindre à l’horizon l’angoisse de l’exclusion sociale, la peur d’être pointée du doigt, jugée et mise au banc de la société. C’est pour cette raison qu’il est bon de s’entourer de modèles – comme nous le propose Mona Chollet –, pour conjurer la peur. La magie apparaît ainsi comme l’arme des opprimées. Effet placebo ou simple symbole, peu importe, pourquoi s’en priver ?

Les balais et les chapeaux pointus ne sont plus de mise, la sorcière de notre époque peut être toutes sortes de femmes. L’autrice déconstruit les mécanismes bien ancrés et anciens selon lesquelles la femme célibataire, sans enfant et avec possiblement un chat, serait un modèle répulsif, la paria d’une époque où il faut s’étaler sur Instagram avec sa famille et son intérieur réconfortant.

La célibataire à chat, modèle bien souvent moqué, est aujourd’hui réhabilitée. Alice Pfeiffer, journaliste mode, affirmait par exemple haut et fort l’être ainsi que Nadia Daam, également journaliste, qui s’interroge dans un livre sur le mode de l’ironie : Comment ne pas devenir une femme à chats ?

Un revival de la figure de la sorcière 

Cette figure connaît un (relativement récent) retour en grâce. Elle est montrée en exemple par des femmes qui assument leurs choix, qui vont parfois contre la société, encore régie par nombre de stéréotypes de genre. Il est beaucoup question dans cet ouvrage de la journaliste et écrivaine Sophie Fontanel.

Ce livre donne des ailes et permet de s’identifier à d’autres modèles que des femmes bien souvent archétypes de la féminité attendue et traditionnelle. Et si les féministes d’aujourd’hui étaient en fait des sorcières ? Jack Parker, s’affirme ainsi avec Witch Please, sa newsletter des sorcières modernes et son futur livre, Grimoire de la sorcière moderne.

Harry Potter, Charmed, SabrinaThe Handsmade’s Tale… La pop culture s’est réappropriée ces figures de femmes tour à tour opprimées, méprisées ou puissantes.

L’ivresse des cimes 

Dans le chapitre fort éclairant et joliment nommé « L’ivresse des cimes », l’autrice explique que la chasse aux sorcières a particulièrement visé les femmes âgées. L’expérience, la maturité et la capacité à réfléchir et à s’interroger font peur. La pression liée à l’âge, à l’horloge biologique, à l’apparence physique est pour beaucoup insupportable et la peur de vieillir omniprésente. Le jeunisme ambiant se concentre uniquement du côté des femmes.

Dans les couples hétéro en France, l’homme est plus âgé dans 8 cas sur 10. Dans la conscience collective, les hommes en vieillissant gagnent en prestance, en pouvoir et en capital financier tandis que les femmes, elles, perdent en capital physique.

Il nous faut aller à l’encontre des exemples qui nous ont été donnés à voir, contre ce qui nous semble être le bon sens, le sens commun. Elle nous enjoint à nous rendre compte, concernant notre représentations des femmes d’âge moyen ou d’âge mûr, de notre conditionnement, de nos préjugés qui déterminent notre regard et forgent nos conceptions de ce qui est beau ou laid, de ce qui est attractif et de ce qui ne l’est pas.

Du elles au moi et du moi au nous

Mona Chollet parle des sorcières mais aussi d’elle. Elle revient également sur les grandes figures féministes d’hier et aujourd’hui, Gloria Steinem notamment. Le sujet d’étude est un prétexte et sa réflexion est beaucoup plus large. Il s’agit d’une peinture de notre société actuelle encore trop polarisée sur les genres et où les femmes peinent à se détacher des injonctions liées à l’héritage d’une culture patriarcale.

Comme Bad Feminist de Roxane Gay, ce n’est pas un livre culpabilisateur. Il montre au contraire qu’il peut y avoir des failles dans le combat féministe et que l’idéal d’indépendance, d’égalité et de liberté peut aussi prendre la forme d’un chemin à parcourir, d’un combat à mener. Elle explique elle-même se sentir parfois comme une suiveuse dans le combat féministe, même si cela semble paradoxal tant elle peut paraître être un gourou pour la jeune génération féministe. Elle dit aussi être un cliché ambulant, un archétype. Certaines se reconnaîtront sans doute dans cette description qu’elle fait d’elle-même. Il est bon d’avoir conscience de cela et de continuer à vouloir se détacher des constructions sociales, de l’habitus.

Mona Chollet cite un article de Susan Sontag paru en 1972 :

« Les femmes ont une autre option. Elle peuvent aspirer à être sages, et pas simplement gentilles ; à être compétentes, et pas simplement utiles ; à être fortes et pas simplement gracieuses ; à avoir de l’ambition pour elles-mêmes, et pas simplement pour elles-mêmes en relation avec des hommes ou des enfants. Elles peuvent se laisser vieillir naturellement et sans honte, protestant ainsi activement en leur désobéissant, contre les conventions nées du ‘deux poids, deux mesures’ de la société par rapport à l’âge. »

Ce programme est toujours d’actualité et Sorcières un livre utile. L’autrice ne propose pas de recettes pour être une bonne féministe ou pour être épanouie mais beaucoup de réflexions, de nuances, de questionnements. C’est un essai pragmatique et bienveillant à mettre entre toutes les mains, sorcières en devenir ou accomplies.