Rouge Signal de Laurie Agusti

Parution le 22 août 2025 aux éditions 2042.

Rouge signal est un récit construit en vis à vis. Dans son appartement, Alexandre – vingt-huit ans, célibataire, blanc, cisgenre, classe moyenne – s’ennuie. Il passe de la lumière froide de son frigo à la lumière bleutée de l’écran de son téléphone, la tête baissée, absorbant inlassablement les contenus qui défilent, s’accumulent, déversant leur lot d’images sexualisées, de discours orientés, de commentaires décomplexés… Dans la rue d’en face, quatre femmes travaillent dans une onglerie. Entre échanges futiles et discussions sérieuses, elles parlent de leurs relations, de sexe, se tirent les cartes, débattent de couleurs et de motifs avec leurs clientes. De sa fenêtre, Alexandre observe ces filles, qui reflètent tout ce qu’il n’est pas. Et si c’était à cause d’elles ? Son manque de charisme au travail, ses difficultés à séduire les femmes, et si ce n’était pas lui le problème ? Peu à peu, côtoyant ici et là un collègue, des hommes plus âgés, prêtant un peu plus l’oreille aux discours d’influenceurs, ce jeune commercial se laisse envahir par la haine et séduire par l’idéologie masculiniste.

L’autrice et dessinatrice Laurie Agusti, compose pour cette première bande-dessinée, un véritable bijou graphique et quasi cinématographique. Ici plus qu’ailleurs, le rythme imposé par les images relate cette histoire qui bascule du banal au drame, de l’ennui au ressentiment, de l’influence à l’enrôlement. Sur chaque page, les vignettes resserrées découpent l’image en séquences, de très gros plans zooment les détails jusqu’à l’abstraction ne gardant qu’une voix off, des superpositions traduisent le flux des informations qui pullulent sur les réseaux jusqu’à l’illisibilité des contenus. Un sujet devenu brûlant, pour lequel Laurie Agusti propose une lecture étudiée, où la fiction colorée se mêle à l’enquête de terrain. Elle avoue volontiers avoir cherché, pendant plusieurs années, à comprendre ces hommes pour combattre la peur qu’ils provoquent. De cette illustratrice, dont on connait les albums jeunesse qui innovent déjà par leurs trouvailles graphiques, on retient également le travail si particulier de mise en couleur : un dessin finement tracé et des couches de gouaches successivement lavées à l’eau puis rehaussées jusqu’à obtenir une teinte dans la masse du papier, un grain texturé, et des jeux d’ombres et d’aplats intenses.

A l’heure où les mouvements féministes gagnent en visibilité, où les termes de sororité font enfin sens, Rouge signal est un rappel à la méfiance, une alerte aux dérives radicales et extrémistes, une lumière sur les violences faites aux femmes qui, tel un incendie, menace sans cesse et qu’il faut combattre collectivement et sans jamais faiblir.