Chaud lapin et pré en fleurs : littérature érotique au Moyen Âge

Oui, certains textes du Moyen Âge pouvaient être très très chauds. Que cela vous étonne ou non, cette anthologie de la littérature érotique du Moyen Âge vous parlera. Si vous n’avez jamais lu de textes du Moyen Âge de votre vie, ce sera une savoureuse porte d’entrée ; et si vous êtes un·e médiéviste confirmé·e, je gage que vous ferez quand même des découvertes.

Parue en 2019 aux éditions Honoré Champion, l’Anthologie de la littérature érotique du Moyen Âge de Corinne Pierreville vient d’être rééditée en poche il y a quelques jours (avril 2024) aux éditions La Musardine. Il est plutôt atypique qu’un même ouvrage soit publié dans ces deux maisons d’éditions. Il n’y a qu’à ouvrir leurs pages internet respectives pour que le contraste saute aux yeux : dans un cas, couvertures beiges uniformes et austères, dans l’autre explosion de couleurs vives et de corps roses. En effet, Honoré Champion est spécialisé dans l’édition d’œuvres littéraires en français depuis le Moyen Âge et dans l’histoire littéraire, tandis que La Musardine édite des textes érotiques. Et pourtant, cette Anthologie… est parfaitement à l’aise et à sa place dans les deux catalogues. Elle est à même de séduire aussi bien les très sérieux·es médiévistes que les amateur·ices de littérature érotique, sans compter celles et ceux qui sont l’un et l’autre à la fois, et toutes sortes d’autres publics curieux.

La version poche reprend à l’identique la version originale, si ce n’est que les illustrations intérieures ont été imprimées en noir et blanc.

Le choix de Corinne Pierreville n’a pas été de faire une anthologie copieuse de plusieurs centaines de textes, ce qui aurait été possible, étant donné la quantité de textes médiévaux qui nous sont parvenus et qui traitent de près ou de loin d’amour ou de sexualité. Précisons d’abord qu’elle s’en est tenue à la langue française, sans incursion dans la littérature médiévale en latin – qui ne manque pas de pépites érotiques ! – ou en d’autres langues. Au sein de la littérature en ancien français du XIIe au XVe siècle, elle s’est limitée à 26 textes, ce qui est relativement peu pour une anthologie. Cette restriction quantitative lui a permis de ne conserver que des petits bijoux, qui se dégustent chacun comme une friandise.

Ces textes sont présentés en ancien français et en français moderne côte à côte. Cela permet de naviguer à son gré d’une version à l’autre. On préférera lire la version en français moderne pour se laisser mener par la fluidité du texte, mais en regardant au passage par curiosité tel ou tel mot en ancien français, notamment les termes obscènes, ou quelques lignes pour goûter le rythme du texte original dans les scènes les plus sensuelles.

J’ai beaucoup aimé le choix de Corinne Pierreville de faire le commentaire de chaque texte avant le texte lui-même. Elle fait ainsi monter la pression et on n’a plus qu’une envie après la lecture du commentaire, c’est de se jeter sur le texte ! Ces commentaires ne sont ni trop longs ni trop abscons ou ennuyeux, mais éclairent vraiment le texte et nous permettent de mieux le savourer ensuite.

Répartis en cinq parties, « L’art d’aimer », « Une femme m’attend », « Première soirée », « Elle était donc couchée » et « Approche, embrasse-moi », les textes sont très variés, entre l’érotisme délicat et charmant, et la grivoiserie plus salace et comique.

Parmi les plus drôles, on se délectera des aventures de Trubert, un jeune homme déguisé en fille. Couchant dans le même lit qu’une jeune vierge, il lui fait croire que son sexe est un petit lapin apprivoisé qu’il/elle loge dans son vagin ; la jeune fille caresse le petit lapin, avec les conséquences que vous imaginez, puis l’introduit dans son propre vagin, et se réjouit de l’y sentir sauter et frétiller… Dans un deuxième extrait, Trubert, toujours sous l’apparence d’une jeune fille, passe sa nuit de noces avec un roi, imitant le sexe féminin à l’aide d’une bourse, qui rendra l’expérience sexuelle du roi très douloureuse.

L’une de mes histoires préférées est celle du « Souhait insensé », un cas très rare dans la littérature (et pas que médiévale !) qui met en scène avec humour et tendresse un couple conjugal épanoui dans son amour et sa sexualité. Tout commence avec un mari qui rentre de voyage tard, fatigué, et s’endort aussitôt après un bon repas ; sa femme, qui aurait espéré une autre réjouissance, finit pas s’endormir aussi, déçue et frustrée. Or voilà qu’elle se met à rêver qu’elle se rend au marché, mais pas n’importe quel marché : un marché aux vits (sexes masculins) : émerveillée, elle en contemple, touche, soupèse, de toutes tailles et de toutes sortes… La suite et la chute sont savoureuses ; mais je vous laisse les découvrir par vous-mêmes.

Beaucoup de textes jouent avec raffinement sur les mots du langage sexuel :

Et David fit descendre sa main

tout droit au trou sous le ventre

par où le sexe pénètre dans le corps,

et il sentit les poils qui poussaient :

ils étaient encore doux et tendres.

Il tâte tout à loisir de sa main droite,

puis il demande ce que cela peut être.

« Ma foi, fait-elle, c’est mon pré,

David, ce que vous touchez,

mais il n’est pas encore en fleurs.

– Ma foi, dame, intervint David,

l’herbe n’y est pas encore plantée.

Et qu’est-ce, au milieu de ce pré,

cette cavité douce et pleine ?

– C’est ma fontaine

qui n’a pas encore jailli »

(extrait de « La jeune fille qui ne pouvait entendre parler de foutre »)

D’autre sont d’un érotisme brûlant, et ce n’est pas forcément l’homme qui fait les premiers pas :

Ses seins et sa poitrine

étaient blancs comme la fleur d’aubépine

et elle se pencha pour les poser sur lui.

Elle lui murmura avec douceur : « Cher ami,

je désire ardemment votre compagnie,

aussi vrai que je demande à Dieu de me bénir ! »

Elle maintenait sa poitrine contre la sienne,

nu à nu, car il n’y avait rien

entre eux, si ce n’est sa chemise.

Elle s’est employée à lui prodiguer ses caresses.

Elle approche son visage de son menton

et il l’embrasse très doucement.

(extrait de « Le Bel Inconnu »)

Enfin, on appréciera que, sur les 26 textes, deux soient l’œuvre d’autrices, l’une est la Comtesse Beatriz de Die, l’autre Bieris de Romans. La première nous fait part de son fantasme :

J’aimerais bien tenir un soir

Mon chevalier nu entre mes bras,

Et lui s’en tiendrait pour ravi

Si je lui servais seulement d’oreiller.

La deuxième s’adresse à une « Dame Marie » et serait un rare cas de poésie médiévale chantant un amour homosexuel féminin :

Car j’ai en vous mon cœur et mon désir,

Et c’est par vous que j’ai toute allégresse,

Et c’est pour vous que souvent je soupire.

Enfin l’ouvrage est agrémenté de 19 illustrations, toutes extraites de manuscrits médiévaux, pour chacune desquelles Corinne Pierreville propose une très courte explication : ils font écho aux textes qu’ils éclairent et enrichissent, nourrissant notre imaginaire. Il est plusieurs fois question de rêves érotiques dans ces textes. Je vous souhaite qu’en refermant ce livre et en éteignant votre lampe de chevet, vous soyez vous aussi visité·e par un rêve érotique inspiré de ces magnifiques textes et images du Moyen Âge.