« Nous ne craignons plus d’être en colère », le premier numéro de la revue Deuxième Page

Il y a quelques mois encore, la presse féministe se faisait rare. Heureusement, des journalistes, militant·es, écrivain·es et artistes ont enfin pris leur place dans les kiosques et librairies. Sur les Missives nous vous avons déjà parlé de la revue de poésie Sœurs et de La Déferlante. Je vous invite également à découvrir le magazine Gaze.

Aujourd’hui je vous présente Deuxième Page dont le premier numéro papier est sorti il y a quelques mois et a pour thématique la colère. Presque 200 pages de colère en non mixité (pas d’hommes cisgenres dans les contributeurs·rices) : nous en rêvions, l’équipe de Deuxième Page l’a fait. Elle a réuni pour nous plus de quatre-vingt personnes, toutes plus passionnantes les unes que les autres, pour aborder cette émotion dans toute sa complexité.

La parole est donnée ici à celleux que l’on n’entend jamais sur ce sujet : femmes cisgenres, personnes non-binaires, trans, racisé·es, handi, grosses, musulmanes, travailleuses du sexe, intersexes… Iels y parlent de la colère militante qui s’élève en réaction aux injustices, aux violences policières et à toutes les formes de discriminations. Iels y évoquent également la colère plus intime, celle que l’on peut ressentir aux repas de famille face à des personnes qui partagent notre sang mais pas notre sens de la justice, celle dont on a du mal à s’émanciper.

Plusieurs papiers abordent la colère dans la pop culture (« Buffy contre les vampires » par exemple), les arts visuels (cinéma queer, film noir, « rape and revenge ») ou la littérature (roman noir).

Deuxième Page nous offre également des traductions inédites de textes passionnants, notamment l’interview de la militante anarchiste Emma Goldman par la journaliste Nellie Bly, mais également un texte de Joreen sur le trashing qui sévit dans les milieux militants féministes. On y trouve aussi des extraits de conférences d’Audre Lorde et de Ursula K. Le Guin.

Plusieurs pages sont par ailleurs consacrées à la création littéraire avec l’imaginarium. Et enfin, l’équipe a fait appel à de nombreux·ses illustrateurs·rices de talent pour faire de cette revue un magnifique objet graphique.

L’équipe de Deuxième Page, en pleine préparation de leur deuxième numéro, a accepté de répondre collectivement à quelques questions et je les remercie tous·tes pour leur temps.

Manon : Quelle est la genèse de la création de cette revue papier ?

Deuxième Page : Éditer un magazine a toujours été un rêve pour l’équipe, c’est un peu la continuité logique du webzine. Sans compter que le financement participatif, les retours et les soutiens reçus ont été un immense encouragement et nous rassurent sur le travail effectué. Le thème de la colère semblait évident dans le contexte social actuel, qui continue de se détériorer. Avec la montée de l’extrême droite dans le monde, le recul des droits et libertés, l’équipe bouillait sur place. Bien sûr, il y a aussi eu des progrès, mais les retours de bâton et beaucoup de burn-out militants ont fait de ce sujet une évidence. Il nous a semblé logique de ne pas en rester au constat de la rage. Il s’agissait de proposer des solutions et d’imaginer les futurs que l’on souhaite voir advenir. Combattre, puis rêver, ou les deux à la fois.

Comment avez-vous choisi les contributions publiées, écrites comme illustrées ?

D’abord, on a laissé aux membres de l’équipe bénévole la liberté de proposer leurs idées de papier. Pour ce qui est des contributions externes, pour certaines, nous avions une idée très précise de qui l’on voulait avoir dans le magazine. On a donc contacté ces personnes, associations ou collectifs, pour leur expliquer le projet, le sujet sur lequel nous voulions leur laisser la parole, et leur demander si elles étaient partantes pour faire partie de cette aventure. Beaucoup ont été enthousiastes et ont rapidement accepté. Le plus compliqué a donc été de sélectionner les contributions des personnes ayant répondu à notre appel lancé sur le webzine et les réseaux sociaux. Nous avons dû lire chaque proposition avec attention, faire des commentaires et se mettre d’accord. Si certaines propositions ne répondaient pas directement à la thématique du magazine, d’autres y répondaient parfaitement mais se ressemblaient trop entre elles. C’est là qu’il a fallu faire des choix en se basant sur la pertinence de la problématique présentée ou, pour les illustrations, de leur lien avec un texte du magazine.

Travailler sur ce premier numéro a-t-il eu un effet sur votre colère ?

Complètement. Comme beaucoup d’entre nous l’avons évoqué dans le magazine, que ce soit dans des tribunes, des portraits ou des articles, la revue nous a permis de nous rendre compte que notre colère était une puissante énergie positive. Faire tout ce travail nous a donné la possibilité de l’extérioriser, d’apprendre à mieux l’apprivoiser. En l’analysant, on a pu nous réconcilier avec elle, et, en rassemblant autant de voix autour de cette émotion, nous avons puisé notre force en elle pour mieux nous unir. Le succès du magazine et les nombreux retours positifs que nous avons reçus ont peut-être même transformé une partie de notre colère en joie. Nous avons toutes un rapport différent à la colère, mais il est clair que la manière dont chacune l’appréhende est maintenant différente. Faire ce magazine nous a rappelé à quel point la colère était essentielle, et que l’on devait y être attentive, la comprendre et la chérir. Ne laisser personne nous en déposséder, car elle est le moteur de notre activité.

Pouvez-vous nous donner quelques indices sur ce que nous trouverons dans le prochain numéro qui aura pour thème « Le(s) futur(s) » ?

Nous sommes encore au tout début du travail, et c’est évidemment difficile de synthétiser, mais en quelques mots, ce magazine, ce sera pas mal d’anticipation, de l’espoir, encore un peu (beaucoup) de colère, des visions différentes, des idées, et certainement quelques outils pour ne pas rester là à attendre les bras croisés. Ah, et plein de jolies choses à regarder aussi !

Deuxième Page, #1 « La Colère », illustration de couverture par Maya Mihindou, 2020.

En vente en ligne sur le site de Big Cartel ;

Et en librairie :

– Le Merle Moqueur (Paris)

– Le Comptoir des Mots (Paris)

– Librairie Ryst (Cherbourg-en-Cotentin)

– L’Affranchie (Lille)

– Page et Plume (Limoges)

– Fracas (Lorient)

– HAB Galerie (Nantes)

– Librairie Durance (Nantes)

– Café-Librairie Grenouille (Langeac)