Moi les hommes, je les déteste, de Pauline Harmange : de la tentative de censure au succès

Longtemps je me suis levée de bonne heure, d’un bon pied féministe, prête à encaisser les horreurs de la journée, à traiter les échanges et menaces de la veille. Bref, longtemps je me suis levée prête à encaisser.

Et puis, il y a eu ce joli matin de tout début septembre 2020, avec ses 64 femmes victimes de féminicides, ce cyberharcèlement de féministes osant avoir un point de vue. Au milieu de tout ça, je tombe sur un article de Mediapart concernant la menace de censure que profère un sombre chargé de mission à la DGCS (direction générale de la cohésion sociale) – non, ne riez pas ! – à propos d’un livre féministe sorti le 19 août dernier.

Je ne dirais pas son nom, c’est le faire exister. Puisqu’il tente de silencier, silencions-le. Allez chut mon grand, ça va bien se passer. Je n’ajouterai même pas un petit propos politique et polémique sur l’intérêt de mettre un homme – a fortiori incompétent, sur le sujet de l’égalité, ce n’est pas mon genre…

La peur que véhicule ce grimoire de sorcière, il faut le dire, doit être forte quand on voit le titre, car l’autrice Pauline Harmange l’a intitulé Moi les hommes, je les déteste.

Bouh les ego fragiles ! Avouez, vous aussi vous avez explosé de rire quand vous êtes tombé·e sur l’article de Mediapart et sur cette curieuse affaire !

Ni une, ni deux, je file sur le site de la maison d’édition et le commande en PDF. De fil en aiguille, et comme des milliers d’autres femmes, je découvre une autrice intéressante, passionnée et proposant une réflexion en perpétuelle évolution sur son blog (Un Invincible Été). On n’ira pas jusqu’à dire merci au chargé de mission mais pour le coup, on a trouvé une pépite !

Pauline Harmange a accepté d’échanger à propos de son livre, dans un délai très rapide, et c’est donc désormais la transcription de notre échange que vous trouverez ci-après. Âmes sensibles s’abstenir : ça parle féminisme et misandrie !

Marine Bruneau : Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs·ices.

Pauline Harmange : J’ai 25 ans, j’habite à Lille et depuis environ un an je suis écrivaine.

Je milite dans une association féministe locale qui s’appelle L’échappée. Il s’agit d’un collectif de lutte contre les violences sexuelles [1].

 MB : Pourquoi ce livre ? Pourquoi à ce moment-là ?

PH : Martin et Coline [les éditeurs·trices] suivaient mon blog. En juillet 2019, j’y ai publié un article concernant mon épuisement de l’engagement féministe et mon agacement envers les hommes. Suite à cela, ils m’ont contactée et proposé d’écrire un livre sur ce sujet.

De mon côté, en écrivant cet article, je sentais que j’avais envie d’en dire plus, d’écrire plus à ce propos, comme dans un livre par exemple. Cette rencontre s’est donc faite au bon moment.

C’est mon premier livre publié.

MB : Quel regard posez-vous sur la tentative de censure de votre livre ?

PH : Ma première réaction lorsque Monstrograph a reçu ce mail de la part du chargé de mission a été d’avoir un peu peur. Mais rapidement, nous nous sommes dit qu’il s’agissait de sa part d’une réaction trop spontanée, mal calibrée. Nos réseaux féministes ont propagé cette histoire et finalement, ce mail a été plus que contre-productif pour la tentative de censure.

Je ne pensais pas que ça prendrait autant d’ampleur, qu’autant de femmes se saisiraient de cette situation et cela permet aussi de me faire connaître. De la part du chargé de mission, il n’y avait aucun argument valable, d’autant qu’en France aujourd’hui la censure n’existe en réalité quasiment pas et qu’il y aurait bien d’autres livres que le mien à censurer si tel était le cas ! Je retiens en tout cas ce principe trop habituel de la tentative de me silencier, de silencier les femmes, au moyen d’un petit pouvoir.

MB : Que faites-vous et comment faites-vous dans votre quotidien quand vous vous rendez compte que vous êtes happée par les difficultés inhérentes à la réalité des femmes ?

PH : Mon premier réflexe est de m’en ouvrir à des proches, de faire le point. C’est extrêmement important d’avoir ces espaces pour parler librement de nos vies privées et professionnelles, d’avoir un réseau de soutien.

On a toutes vécu des situations difficiles. La sororité fait partie de mon quotidien et je n’avais pas forcément encore mis des mots dessus jusqu’à il y a peu.

Ce terme est de plus en plus utilisé, pas forcément seulement de façon chargée en militantisme ou politique. C’est un terme très parlant, qui nous permet de nous retrouver en fonction de la réalité où on vit toutes des situations de sexisme. C’est un des ingrédients de base pour puiser de la force, pour continuer à se battre.

MB : Vous considérez-vous comme féministe ?

PH : Oui, bien sûr.

MB : Une féministe radicale ?

Par essence, je suis radicale car mon but est d’aller à la racine du problème et d’abolir complètement le patriarcat. De façon générale, je suis anticapitaliste, anti-autoritaire, anarchiste. Tout se recoupe et je ne veux pas faire beaucoup de compromis !

MB : Certaines personnes engagées vous reprochent d’adoucir le concept de misandrie ?

Je trouve que ce n’est pas juste car la misogynie est dans toutes les strates et dans tous les pans de notre vie. La misandrie, elle, est un rempart, un mécanisme de protection face à cette haine.

J’ai conscience que la manière dont je la présente n’est pas très virulente mais c’est aussi parce que je ne m’adresse pas qu’à des féministes radicales. Je veux aussi parler à toutes les femmes, y compris celles qui n’ont pas conscience que détester les hommes pourrait leur faire du bien et qui ne se reconnaissent pas dans la virulence de nos combats radfems.

Je ne voulais pas écrire un livre pour mes amies radicales qui seraient d’accord, mais pour toutes les femmes, notamment celles qui ont juste besoin d’un coup de pouce pour aller plus loin.

MB : Vous dites « rassemblons-nous » à la page 77, comment selon vous ?

PH : J’aimerais qu’il y ait plus de féministes sur le terrain, dans les associations, engagées pour améliorer la vie des autres femmes.

Se rassembler, c’est une expression très large finalement et cela peut juste vouloir dire oser avoir plus de relations personnelles avec des femmes, notamment dans le climat actuel qui nous encourage plutôt au contraire, c’est-à-dire à la rivalité.

Je n’aurais par exemple pas eu l’idée de faire des collages moi-même parce que je n’aurais pas pensé que la rue m’appartienne donc je trouve génial cette idée et que certaines s’y mettent pour changer tout ça.

MB : Quelles sont les marges de manœuvre et les actions à mener aujourd’hui en tant que femme selon vous ?

PH :  Il faudrait beaucoup de choses pour que le quotidien des femmes change. Mais pour qu’il devienne plus supportable il faudrait qu’on accepte de prendre conscience que des hommes importants pour nous ne sont pas forcément les mecs aussi chouettes qu’on voudrait. Rien que ça demande beaucoup d’énergie !

Je me sens privilégiée dans mon quotidien car je suis avec beaucoup de femmes et très peu d’hommes. J’ai donc déjà un groupe safe autour de moi et de moins en moins besoin de l’attention des hommes. Ce qui est une des choses à travailler, et c’est dur.

MB : Que peut-on faire selon vous pour faire bouger les hommes et est-ce même possible ?

PH : Je pense qu’on ne peut faire changer que ceux qui en ont envie. Cela réduit beaucoup notre champ d’action. Les hommes qui n’ont pas envie de changer, quant à eux, sont plus susceptibles de bouger grâce aux hommes, pas avec les femmes.

C’est pour ça que mon livre ne s’adresse pas spécialement aux hommes. D’ailleurs, je ne pense pas que ce soit aux féministes et aux femmes de façon générale de faire de la pédagogie aux hommes. 

MB : Quels sont vos projets pour la suite ?

PH : Je suis sur l’écriture d’un autre livre qui parlera de l’avortement.

Et je voudrais continuer à écrire des romans car c’est ce que je préfère.

MB : Vous venez quand nous voir à Brest ?

PH : Invitez-moi, et j’arrive !

Pauline Harmange est donc une autrice engagée, qui n’a pas peur de dire son fait, et d’évoluer dans sa réflexion. Elle est à l’image du mouvement féministe, complexe, riche et cherchant à avancer. C’est peut-être ça, au fond, qui fait peur : les femmes qui disent !

Ce qui fait plus peur encore, c’est que de plus en plus, non seulement des femmes disent, mais d’autres les écoutent.

On appelle ça sororité et qu’est-ce que c’est bon !

Ce livre initialement publié chez Monstrograph – victime de son succès –, va être réédité au Seuil.


[1] http://www.lechappee-lille.fr/