Jouir, quand la quête de l’orgasme devient celle de de l’émancipation féminine

La sexualité féminine est politique. Et c’est pour cela qu’à bien des égards, elle est encore à explorer et à se réapproprier. C’est peut-être même le sujet majeur de la quatrième vague féministe lancée avec le mouvement Me Too. Si les comptes Instagram (Clit Revolution, T’as Joui ?, Je m’en bats le clito…) et autres initiatives réjouissantes en la matière ont fleuri ces dernières années, ils restent l’arbre qui cache une forêt… d’ignorance. Et il est temps de la transformer en une forêt de plaisir, de créativité et de découvertes, dit en substance la journaliste canadienne Sarah Barmak dans Jouir, en quête de l’orgasme féminin.

Avec cet essai écrit à la première personne, l’écrivaine aussi rigoureuse que facétieuse effectue un pont entre cours d’histoire (plus que nécessaire tant l’anatomie féminine a été enseignée de façon chaotique selon les époques et les intérêts des hommes), dernières études et recherches scientifiques sur l’orgasme (la grande découverte du fonctionnement de notre corps et notre cerveau !) et enquêtes façon journalisme gonzo où elle part à la rencontre de sexploratrices audacieuses, voir teste t-elle elle-même certaines pratiques. Ce qui donne un livre inclusif et d’une grande richesse. Comme tout bon essai féministe, il aborde des sujets sur quelques pages qui pourraient faire l’objet d’un livre à part (qu’une autre femme écrira peut-être). Et en même temps, “Jouir” relève haut la main un défi audacieux : proposer une synthèse digeste, moderne et vivante sur l’orgasme et tous les sujets passionnants en orbite autour de cette quête, qui peut se révéler aussi amusante que libératrice ou oppressante. 

“L’orgasme féminin est un animal particulièrement difficile à cerner : un événement corporel autant porté par la nature que par la culture, un phénomène biologique qui nécessite, pour quiconque souhaite le vivre, une forme d’éducation, une acceptation, voire l’acquisition de compétences.”

L’une des grandes forces du livre réside dans sa générosité. L’autrice s’exprime mais donne aussi la parole à de nombreuses femmes. Ainsi, l’histoire de l’oubli du clitoris est mise en parallèle avec le parcours du combattant effectué par une femme “en pleine santé” selon ses docteur·e·s, mais qui souffrait le martyre quand elle jouissait. On vous laissera découvrir le fin mot de l’histoire, qui en dit long sur les progrès que peut faire la médecine une fois libérée de ses réflexes patriarcaux. 

En attendant ce jour béni, l’essai nous apporte la preuve par l’écrit de la richesse de la diversité des approches et des vécus en la matière. Qu’elles soient des scientifiques, des femmes cherchant à comprendre leur dysfonctionnement sexuel, des universitaires érudites, des profs de méditation orgasmiques, des travailleuses du sexe, pornographes féministes… Toutes ces personnes qui se sont consacrées d’une manière ou d’une autre à la recherche du plaisir et de ce Graal que représente l’orgasme (la réponse physiologique qui a lieu au sommet de l’excitation sexuelle) ne l’ont pas regretté. Leurs expériences sont précieuses et formatrices pour les autres femmes, dont nous. Elles y ont trouvé un sujet d’étude foisonnant (connaissez-vous le principe de la concordance sexuelle ?), un objet poétique ou mystique, une étape puissante vers la reconstruction pour des personnes victimes d’agressions sexuelles, des réponses inattendues, une émancipation. 

Ce chemin vers le bien-être sexuel n’est pas à prendre à la légère. Comme le développe avec à propos Sarah Barmak, il va immanquablement résonner dans tous les autres aspects de votre vie. Mais il n’est pas toujours simple à emprunter. En particulier si vous êtes une personne transgenre ou racisée. L’autrice consacre plusieurs pages aux expériences des minorités, sans que ce ne soit le sujet central (pour cela, il faudra attendre d’autres essais). Elle évoque notamment l’hypersexualisation des femmes noires, les origines du twerk, ou encore la difficile appropriation de leurs corps par les femmes transgenres, fétichisées et faisant face à des traitements qui compliquent leur épanouissement sexuel. L’occasion de faire un détour par le porno mainstream – et l’essayiste ne mâche pas ses mots dans sa charge contre une industrie qui maltraite les femmes – mais aussi d’explorer l’alternative du porno féministe. L’autre grande question qui fâche dans les milieux engagés dans la cause des femmes, c’est celle de la prostitution. 

“Il s’avère que l’idée que notre culture se fait de la sexualité féminine ordinaire dissimule toute une effervescence de non-conformisme et d’expérimentation. Au-delà de l’injonction à jouir qui leur échoit, et si les femmes avaient d’abord envie de jouer ?” 

En explorant le mouvement féministe pro-sexe, né dans les années 1980 aux États-Unis, et son prolongement, le mouvement sexpositif (qui place au centre de ses préoccupations une sexualité sans risque et consentie), Sarah Barmak nous en fait un peu la promotion, sans toutefois cacher les dérives sectaires de certaines organisations, l’exemple de OneTaste à l’appui. “Jouir” demeure une invitation à la sexploration des plus réjouissantes. Au-delà de la partie scientifique et historique, le livre peut être vu comme un must du développement personnel dédié à la sexualité des femmes. Les pistes lancées sont nombreuses, à vous d’emprunter celle qui vous correspond le mieux pour devenir à votre tour une sexploratrice épanouie. 

 “Jouir, en quête de l’orgasme féminin”, sorti le 3 octobre 2019, traduit de l’anglais par Aude Sécheret, aux éditions Zones.