Comme l’oranger amer de Milena Palminteri

Paru le 20 août 2025 aux éditions Harper Collins, traduit de l’italien par Delphine Gachet.

Quelle histoire ! Et pourtant l’autrice Milena Palminteri est une Sicilienne de 76 ans, et elle sait de quoi elle parle. Elle était bien placée pour observer de tels comportements, manigances et complots sordides : un coup de maître pour un premier roman basé sur une histoire vraie.

Elle nous invite à une lecture passionnante et dense qui se mérite avec ses 520 pages. Autour de trois femmes rebelles dans leur genre : Nardina, Sebedda, Carlotta, gravite tout un monde dans la Sicile de 1924 à 1965. Elle essaient de se défendre comme elles peuvent pour exister face à toutes les injonctions de cette société.

En décryptant un peu le contexte, nous voyons d’abord la main-mise de la famille :  » Pour le Sicilien, le seul gouvernement légitime, c’est la famille, et il en est toujours le chef. « ,  » Le mari devait affirmer sa position dominante et, une fois la règle établie, exiger qu’elle soit respectée au nom de l’ordre familial. « .

Ensuite l’organisation économique du pays repose sur les grandes propriétés des nobles et leurs serviteurs au quotidien. Les nobles vivent des revenus générés par leurs terres, dilapident parfois le capital – même s’il appartient à l’ épouse – mais veulent absolument transmettre un nom et un héritage à leur progéniture. C’est pourquoi avoir des enfants est tellement important. Pour cela ils sont capables de tout comme lors de la fameuse et tragique nuit du 24 décembre qui apparaît comme le cœur du roman… Même les mères s’y mettent à toujours surveiller le ventre de leurs filles et belles-filles;  » Que sa fille lui joue maintenant le mauvais coup de ne pas savoir procréer, c’était trop. » Quant aux métayers et serviteurs, ils font partie de la famille, sont dévoués ou corvéables : « les deux époux occupaient dans la maison du baron la place réservée aux parents pauvres : pas de salaire, quelques primes pour les grandes occasions, l’honneur de servir chez les Damelio, le gîte et le couvert constituaient une compensation plus que suffisante. ». Après, si la jeune servante plaisait au fils du baron qui la regardait  » avec des yeux concupiscents  » il pouvait en abuser ou la violer  » parce qu’il était le maître et elle la domestique » ;  mais c’était elle la coupable  « rongée de honte de n’avoir pas su résister ; elle s’était vendue au patron, toute seule elle avait réaffirmé sa condition d’esclave ».

D’autre part, la mafia est omniprésente, avec le mafieux de service dans le village. Il fait partie du paysage, participe au maintien de l’ordre, et bénéficie même d’une certaine aura :  » que ce soit un mafieux, il n’y avait pas le moindre doute là-dessus, tant sa renommée de saint et de justicier s’était répandue… la situation de chaque famille était écrite dans sa tête avec précision et exactitude « .   Il sait tout et peut tout. C’est la loi de l’omerta acceptée par tous.

Enfin le fascisme au temps de Benito Mussolini dans le livre est présent de façon sournoise, c’est surtout une ambiance de méfiance et qui d’autre part donne une place bien définie aux femmes : « Les femmes, ah, les femmes ! Elles se pomponnent, elles se rendent affriolantes… Et pourquoi, sinon pour aguicher les hommes? Benito a bien raison : les femmes doivent s’occuper de la maison, mettre des enfants au monde et porter des cornes. Et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ce don Benito, c’est un vrai philosophe ! « . Et que voilà une philosophie bien campée qui va sûrement plaire à nos trois jeunes femmes. On pourrait dire que cette mentalité, ou philosophie selon certains, a imprégné l’inconscient collectif pour des décennies en Italie ; et la réponse des Italiennes, en silence et sans se concerter,  serait de ne plus avoir d’enfants. Avec seulement 1,2 enfants par femme depuis longtemps, le pays a perdu deux millions d’habitants en 10 ans. La grève des ventres pour échapper à une condition encore peu enviable?

Concernant notre roman, nous allons donc suivre nos trois jeunes femmes au cours de leur vie, les voir se défendre avec leurs moyens dans un contexte personnel difficile pour chacune, sans oublier les secrets bien gardés. Mais pour elles, et deux autres figures du roman, ce qui les fait vivre et avancer malgré tout, c’est un amour qui les dépasse pour quelque chose ou quelqu’un …. C’est le sens de toute leur vie.