« S’il n’y avait pas eu ce mouvement féministe, je continuerais peut-être encore de feindre ». Gloria Steinem.
Pour beaucoup, Gloria Steinem est une icône féministe. Elle a co-fondé le Ms Magazine avec Dorothy Pitman Hugues, féministe afro-américaine en 1972 et a milité presque toute sa vie. Son combat le plus célèbre (et qui a été adapté en série « Mr America) est celui pour l’amendement « ERA » (Equal Rights Amendment) qui voulait inscrire l’égalité femmes-hommes dans la constitution américaine.

La révolution intérieure et Ma vie sur la route sont deux de ses ouvrages célèbres et importants dans la littérature féministe. Elle a en particulier été une des premières à théoriser la nécessité du bien-être dans le militantisme sans tomber dans le travers du développement personnel. Elle est suivie aujourd’hui par exemple par Sarah Durieux et son « Militer à tout prix ? ». Mais en 2022 les éditions Points traduisent et publient ce recueil d’écrits divers publié pour la première fois aux États-Unis en 1984 : Actions scandaleuses et rébellions quotidiennes. Ce sont des articles qu’elle a publiés dans la presse en tant que pigiste comme celui sur son immersion dans le monde pas très joli des Bunnies ou des réflexions personnelles sur le féminisme, sur la politique de son pays ou le racisme. Quand on a déjà lu Ma vie sur la route, on peut comprendre à quel point Gloria Steinem est une précurseuse. Elle fait de l’intersectionnalité sans le dire, avant même que le mot existe, notamment quand elle parle de son voyage en Inde effectué très jeune. Elle fait le lien entre différents types d’oppression et a une conscience aiguisée des injustices et du fait qu’elle-même n’est pas à l’abri de stéréotypes ou d’idées convenues sur d’autres groupes auxquels elle n’appartient pas.
Dans ce recueil transparaît une femme accomplie ou en train de s’accomplir avec indulgence envers les autres et envers elle-même. Par son parcours loin d’être parfait, elle nous offre la possibilité de ne pas être écrasées par le modèle et nous enjoint à être généreuses avec nous-même. Dans l’article « Sororité », elle raconte sa longue maturation féministe, comment elle a découvert que ce qu’elle ressentait, nous étions des milliers à le ressentir également. Elle raconte comment elle a été fière qu’on dise d’elle qu’elle « écrit comme un homme ». Puis elle raconte comment lors d’une réunion de femmes du Missouri autour d’un projet de garderie, la communication entre les femmes mariées d’une petite ville et les étudiantes semblait infructueuse jusqu’à ce qu’elles réalisent toutes la similarité de leurs expériences : « « je croirais entendre mon mari » s’était exclamée une femme en gants blancs » en entendant les propos sexistes d’un jeune professeur leader des radicaux. À chaque fois, Gloria Steinem part du réel, du vécu des femmes pour montrer la nécessité que les femmes se parlent.
Dans les années 1980-1990, il était habituel de railler les féministes américaines, pudibondes et coincées parce qu’elles voulaient interdire le porno. On opposait le puritanisme outre-atlantique et la « libération sexuelle » européenne. Dans ce recueil, on peut lire l’histoire de Linda Lovelace ou « Érotisme et pornographie » pour comprendre en réalité qu’elles étaient en avance sur nous, ou que nous nous étions encore faites avoir par le patriarcat qui nous expliquait que le porno c’est vachement bien, c’est la liberté. L’histoire de Linda Lovelace (l’actrice qui a joué dans le film Gorge profonde) est celle d’une prisonnière au vu de tous. Elle a parlé, elle a écrit pour raconter les violences qu’elles a subies et personne ne l’a écoutée. A part Gloria Steinem dans ce portrait émouvant et révoltant.
En 1980, elle écrit un article intitulé : « Si Hitler était vivant, de quel côté serait-il ? » pour montrer l’hypocrisie des anti-IVG qui comparent l’avortement à la Shoah. Ce texte est incroyable de perspicacité car en trente ans, les masques sont tombés et bien sûr qu’Hitler serait du côté des conservateurs, lui qui a interdit l’avortement en Allemagne. « On trouve des échos et des parallèles entre l’Allemagne de l’entre-deux-guerres et les États-Unis des années 1970 : un élan prometteur des libertés individuelles et des droits civiques, suivi d’une réaction de l’ultra-droite. » Et aujourd’hui, nous sommes confrontées ici comme aux États-Unis au même backlash après les espoirs de « Me Too ». Les similarités sont effrayantes entre l’entre-deux-guerres, les années 1970 et aujourd’hui : « les tentatives actuelles des conservateurs pour faire interdire dans les bibliothèques scolaires les livres « anti-famille » ou « anti-allemands », écrits par des membres du planning familial, des Juifs et des féministes ? » Quand on pense qu’aujourd’hui, Le Journal d’Anne Franck est interdit dans certains états des États-Unis… la boucle est bouclée, pour le pire. Mais Gloria Steinem ne se laisse pas aller au pessimisme et trouve des raisons d’espérer : « Tout cela peu nous donner un sentiment de déjà-vu. Mais au moins nous savons maintenant que le féminisme a une histoire. Et que celle-ci est la clé de voûte de toute démocratie durable. » Écrit en 1980.
Gloria Steinem est une femme engagée. Journaliste, oui. Mais engagée. Elle a participé à des campagnes électorales en pensant que c’était important, notamment au moment de la guerre du Vietnam où elle cherche à faire élire un démocrate qui s’engagerait vraiment pour la fin de la guerre. Elle a aussi milité comme on l’a dit pour l’Equal Era Amendment. Donc, quand on dit qu’il n’y avait pas d’intellectuels comme Sartre aux États-Unis, c’est uniquement parce que l’on ne cherchait pas chez les femmes. Gloria Steinem est une intellectuelle qui ne se met pas sur un piédestal et qui ne perd jamais de vue ses objectifs politiques. Et nous pourrions apprendre d’elle quand elle dit :
« Parce que j’ai la conviction que le système des castes sexuelles est un élément fondamental au niveau anthropologique, je pense aussi que toutes les actions menées contre celui-ci contribuent à la transformation radicale de la société, que ces actions soient conduites par des féministes radicales ou par des femmes qui disent en hésitant « Je ne suis pas féministe, mais… ». Je n’ai donc aucun problème à soutenir ou à m’associer à des femmes qui ne partagent pas l’étiquette que je me suis choisir. Certes, nous finirons peut-être par nous affronter au sujet de nos analyses à long terme, puisque je ne crois pas que le féminisme puisse uniquement être imitatif ou intégrationniste. Par nature, il doit transformer. Mais sur le court terme, nous avons des objectifs communs. Et c’est maintenant que nous devons agir. »
C’est un discours qui fait du bien à entendre et dont nous avons besoin. Car il est urgent de réaliser que nos ennemis politiques ne sont pas dans notre camp à la moindre dissonance. Ils sont en face, et en face, ils sont armés.

Féministe radicale à la recherche d’un moyen pas trop fatigant pour changer le monde.