Who run the world ? Le Pouvoir de Naomi Alderman

Et si demain, alors que je prends le métro, alors qu’un homme décide que mon fessier est le plus bel endroit pour se poser ou plutôt poser son sexe ridé et rabougri qui pue la pisse, alors que mon cerveau panique, que mon corps ne répond plus, un pouvoir inconnu sort de mes doigts, bouscule mon agresseur, le fige et l’anéantit. C’est un fantasme. Une pensée que j’ai parfois quand la colère est trop forte et aimerait enfin s’échapper par tous les pores de ma peau. Une forme de libération.

Il faut que je laisse de côté ces vilaines envies et que la réflexion prenne le dessus. Je sais pertinemment que la solution n’est pas dans la vengeance, la justice n’est pas la vengeance. Pourtant, dur de résister, de ne pas se laisser submerger par cette tentation diabolique. Si quelques femmes commençaient à jouer du canif contre les oppresseurs « couillidés » dans les transports ou ailleurs, peut-être qu’ils rangeraient plus souvent leur matos peu ragoûtant et raseraient les murs en baissant la tête.

Un livre dans un livre, c’est ainsi que se présente à vous Le Pouvoir de Naomi Alderman. Un roman historique écrit par un certain Neil Adam Armon qui effectue des recherches sur la domination féminine et plus particulièrement ses origines. Il émet par ailleurs l’hypothèse qu’avant que le monde ne bascule dans un matriarcat, ce même monde était auparavant dirigé par les hommes. Chose impensable, pure fantaisie selon Naomi, une autrice avec qui il échange les résultats de ses investigations. Ne desservirait-il pas sa cause ?

Neil explique qu’une mutation génétique a changé la donne. Les femmes se découvrent un pouvoir de nature électrique. Les manifestations de celui-ci font le tour des réseaux sociaux, le monde entier découvre progressivement que la peur change de camp et que cette mutation s’étend à toute la population féminine. Cela se traduit par une euphorie sauvage, une exaltation dévastatrice, un assouvissement des frustrations. Une belle orgie vengeresse qui touche l’ensemble des continents.

Quatre personnages principaux sont présentés au fil des chapitres. Il y a Roxy, fille d’un mafieux, témoin de l’assassinat de sa mère et qui a donc de la rancune en veux-tu en voilà à distribuer. Allie, l’adolescente américaine au beau-père tordu, qui doit se trouver intelligent d’abuser de sa belle-fille. Rira bien qui rira le dernier. Margot, une politicienne aux dents longues qui comprend très vite où se situe son intérêt dans cette guerre des sexes. Trois figures féminines et un homme, Tunde. Journaliste, il décrit sans relâche les événements, les manifestations et les actes de violence. Il se met en danger, est le témoin du renversement d’un ordre qui se croyait éternellement établi, celui du patriarcat.

C’est un nouveau monde qui voit le jour, avec des cultes différents, de nouvelles organisations où les divinités sont strictement féminines. Des guerres sanglantes ravagent les deux camps. Les armées masculines tentent de lutter mais la force physique n’est pas de leur côté. C’est la défaite. Les normes et structures sociales en ressortent transformées ou plutôt renversées.

Naomi Alderman aurait pu basculer dans l’angélisme et proposer une histoire où dieu merci tout est bien qui finit bien, les femmes ont pris le pouvoir. Fortement influencée par l’œuvre de Margaret Atwood, elle a préféré une dystopie où finalement les rapports de domination se perpétuent. L’autrice n’est pas naïve au point de supposer qu’un matriarcat serait la panacée pour nos sociétés. Son but est de dénoncer le pouvoir dont les gens, dès lors qu’ils l’obtiennent, en abusent. Parce qu’ils le peuvent, plus qu’ils ne le souhaitent peut-être.

La clé de ce roman, c’est aussi de mettre en exergue toute l’absurdité et la violence du système patriarcal en transposant celui-ci en système matriarcal. Dénoncer en renversant les rôles pour mettre plus facilement en évidence les comportements toxiques de nos sociétés. Cela me rappelle les travaux d’étudiants ou d’associations qui afin de montrer à quel point certaines publicités étaient sexistes ont inversé les rôles. Dans le même temps, c’est un livre qui dit nous sommes en colère, nous avons des raisons de l’être. Si l’opportunité de vous écraser comme des mouches nous est donnée, nous n’hésiterons pas alors ne jouez pas avec le feu.

Pas toujours d’un niveau d’écriture inspiré, avec quelques maladresses qui peuvent empêcher la lectrice ou le lecteur de comprendre le but de l’autrice, voire tomber totalement à côté des cibles de celle-ci, Le pouvoir est une lecture intéressante et puissante, qui comporte des moments cathartiques. Ces hommes qui prennent peur et font preuve d’humilité uniquement à partir du moment où les privilèges ne leur appartiennent plus, c’est réjouissant. Il y a beaucoup de rage et de rancœur chez les femmes, elles attendent leur heure.

Vous avez le pouvoir de vous procurer ce roman édité chez Calmann-Lévy pour 21,50 euros ou au Livre de poche pour 8,70 euros. Si vous aimez les dystopies, c’est l’occasion de vous lancer dans les romans de Margaret Atwood dont le plus connu La Servante écarlate a été adapté en série télévisée. Côté littérature française, je vous invite à découvrir Les Larmes noires sur la terre de Sandrine Collette. Roman très sombre, histoire de femmes et sororité à l’honneur.