L’Ardeur, la collection qui donne chaud (4) : #WHENIWAS15, Lire et dire le désir

Juillet 2023, canicule partout, érotisme nulle part.

Manu Causse a publié un an plus tôt Bien trop petit aux éditions Thierry Magnier, dans la collection L’Ardeur, dédiée à l’exploration des sexualités adolescentes. L’ouvrage a mis un peu de temps à arriver place Beauvau, et apparemment, il représente une atteinte aux bonnes mœurs pour la jeunesse, toujours sous le coup de la loi de juillet 1949 visant à moraliser les publications destinées à un public adolescent. Moralisons, donc. Mais qui ?

Chaque mois, 2,3 millions de mineurs fréquentent des sites pornographiques (source ARCOM), plus de 73% des affaires d’agressions sexuelles sur mineurs orientées vers la justice sont classées sans suite (rapport sénatorial 2018), près de 20 % des étudiants vit sous le seuil de pauvreté (source IGAS). Ah oui, et sinon un jeune de 17 ans a été tué par la police, des émeutes ont éclaté un peu partout en France, mais pour le ministère de l’Intérieur, l’urgence, la priorité vis à vis de la jeunesse en ce mois de juillet 2023, c’est de faire interdire un livre. Ça nous révolte, ça nous dégoûte mais ça doit aussi nous réjouir : c’est la confirmation que le pouvoir craint les livres, que la littérature a toujours sa puissance subversive, qu’on ne raconte pas des histoires pour rien. Écrire et lire sont des actes politiques, au cas où on en doutait.

Pour répondre « à cette censure injuste et hypocrite », Nicolas Mathieu, qui a si bien su dire l’adolescence dans Leurs enfants après eux et Connemara, décide de lancer un appel à textes sur les réseaux sociaux, sous l’intitulé #WHENIWAS15. L’objectif : recueillir des témoignages de figures littéraires autant que d’anonymes, comme « une impudeur dressée face à la tartufferie ». Les témoignages affluent et font remonter les « souvenirs de lectures planquées sous les draps, de livres interdits dénichés dans la bibliothèque des parents, de coups de chaud sur La Bicyclette bleue ou de manipulations clandestines en parcourant les pages de vieux SAS. » Souvenirs de générations pour lesquelles l’accès au porno se limitait à Canal en brouillé le samedi soir et/ou à dénicher les VHS coquines planquées par les darons. Un fossé gigantesque nous sépare des ados d’aujourd’hui, comme en témoigne Claudine Desmarteau :

« Aujourd’hui, j’imagine le choc que ça doit être d’avoir 12 ans et de visionner des doubles et des triples pénétrations sur l’écran de son smartphone, avant même d’avoir osé approcher une fille ou un mec, avant même d’avoir effleuré, caressé ou embrassé quelqu’un qu’on désire ardemment. J’imagine de quelle manière ça détruit au chalumeau la subtile et merveilleuse progression de l’éveil sexuel et amoureux. Interdire un livre alors qu’on laisse cette violence-là bousiller la sexualité des très jeunes, gangrener leurs relations affectives et amoureuses, c’est absurde, c’est dégueulasse, c’est révoltant. »

Pour toustes celleux qui ont accepté de témoigner, les livres ont été une machine à fantasmes, un lieu de découvertes, un horizon de possibles humides et brûlants, une initiation par les mots, une porte de sortie aussi : prendre conscience que le monde ne s’arrête pas aux discours parfois rances des parents et de la société toute entière sur les sexualités qui échappent au père, au fils et au Saint-Esprit de l’hétérosexualité ultra-normative. On se promène ainsi à travers tous ces témoignages de L’Amant de Duras, motif récurrent, à Violette Leduc, en passant par Pierre Louÿs, Judy Blume, Anaïs Nin, Angélique, marquise des anges ou les bandes dessinées de Manara. On se souvient de ses quinze ans en se demandant ce qu’on aurait pu écrire, on se souvient avoir eu chaud aussi en lisant des scènes dont la littérature classique déborde – Apollinaire, Artaud, Sade, légèrement moins safe que Manu Causse – que la féministe de 2023 ne pourrait que désavouer (le consentement ? une bonne blague dans les années 90). On se dit, comme Céline Roumiguière qu’on aurait bien aimé avoir accès à « tous ces romans actuels qui disent l’érotisme et la sexualité hors des ornières boueuses du patriarcat. ».

Parce que « le silence blesse », selon les mots de Manu Causse lui-même qui signe le dernier témoignage, il faut lire et faire lire les romans publiés dans la collection L’Ardeur, lire et diffuser ces témoignages puissants, dont les droits d’auteur seront versés au planning familial, proposer aux adolescents une alternative salvatrice au porno auquel ils ont si vite et si mal accès.

Le dernier mot à Thomas Cepitelli :

« J’ai 15 ans et je suis un jeune homo de province dans un milieu typique de la petite bourgeoisie. Ce sont les années 1990. Je suis seul à crever. Personne autour de moi n’est homo (et surtout pas gay). Sauf Tom Hanks qui meurt du sida à l’écran. Sauf Zaza dans La Cage aux folles. Il n’y a rien de positif à attendre, rien de tendre, rien de doux. Juste la honte, la solitude et la maladie. (…) Et je découvre, par hasard, Les Chroniques de San Francisco de Maupin. Et ça change ma vie. Des mecs s’y embrassent, dansent sur des tables en slip, des mecs baisent, s’aiment et sont heureux. Si je n’avais pas tenu ces livres entre mes mains il y a vingt-sept ans, je me serais tout simplement foutu en l’air. Les histoires nous permettent d’exister. Et de ne pas crever. »

Une rencontre littéraire exceptionnelle sur la littérature adolescente érotique

Jeudi 30 novembre à 19h30 chez Libertalia, les Missives reçoivent Charline Vanderpoorte (éditrice de la collection L’Ardeur) et Hélène Vignal (autrice). Pour unir nos forces à celles qui contrent l’obscurantisme d’un monde qui veut réduire au silence ce qui sauve, ce qui émancipe, ce qui bat fort au fond de nos ventres. Sortez vos ados ou convoquez celle.celui qui sommeille encore en vous !