Too Fat, Too Slutty, Too Loud… ces femmes qui n’entrent pas dans des cases

Cet essai est en anglais et n’est pas encore publié en français (mais on a hâte). Il est cependant surprenant par la clarté de l’analyse de l’autrice. À travers les portraits de femmes célèbres qui sortent des sentiers battus, elle expose l’absurdité des stéréotypes concernant l’image de la femme.

« You know the type: the woman who won’t shut up, who’s too brazen, too opinionated—too much. Sometimes she’s the life of the party; other times she’s the center of gossip. She’s the unruly woman, and she’s on eof the most provocative, powerful forms of womanhood today.
There have been unruly women for as long as there have been boundaries of what constitutes acceptable ‘feminine’ behavior, but there’s evidence that she’s on the rise–more visible and less easily dismissed. In Too Fat, Too Slutty, Too Loud, Anne Helen Petersen uses the lens of “unruliness” to explore the ascension of contemporary pop culture powerhouses, from Serena Williams to Kim Kardashian to Hillary Clinton. Petersen explores why the public loves to love (and hate) these controversial figures, each of who has been conceived as ‘too’ something: too queer, too strong, too honest, too old, too pregnant, too shrill, too much. »

Anne Helen Peterson est journaliste culture pour Buzzfeed US. Elle explique que c’est l’élection de Trump qui a été l’élément déclencheur dans l’écriture de ce livre. Face à un homme misogyne, raciste et homophobe (et on en passe et des meilleures), elle a voulu parler de ces femmes qui sont critiquées, décrédibilisées parce qu’elles sortent des rôles que la société attend d’elles.

Elle trace le portrait de femmes considérées comme « unruly », c’est-à-dire indisciplinées (en traduction littérale). Avec ses portraits de femmes célèbres, elle balaie différents domaines, allant du sport à la politique, en passant par la musique, la littérature et le cinéma. Elle propose à chaque fois une analyse et une critique de la société dans laquelle elles évoluent, en confrontant l’image stéréotypée qu’on peut avoir de la femme : douce, tendre, petite, fragile, silencieuse.

Serena Williams, Nicki Minaj, Lena Dunham…

Par exemple, dans le sport, Serena Williams excelle. Mais elle est très critiquée pour son attitude agressive sur le court de tennis, sa musculature développée, sa puissance et sa couleur de peau. Anne Helen Peterson soulève le paradoxe de sa situation : on attend normalement d’une athlète qu’elle soit forte dans son domaine, ce qui engendre le développement d’une musculature en adéquation avec sa pratique… tout en restant « féminine » – avec les caractéristiques stéréotypées qui vont avec. Absurde !

Anne Helen Peterson parle aussi de Melissa McCarthy, actrice connue pour ses rôles de femmes grosses et grandes gueules. Elle fait peur à certains, parce qu’elle ne rentre pas dans le moule. Mais les gens se rassurent lorsqu’elle est décrite comme une mère douce et aimante dans sa vie privée. (*lève les yeux au ciel*)

J’attendais le chapitre sur Nicki Minaj avec appréhension et curiosité. C’est une femme difficile à cerner. J’étais partagée entre l’idée qu’elle s’auto-objectifie et se met en scène pour plaire au regard de l’homme (ici plane le « male gaze ») ; et le fait qu’elle revendique le droit de disposer librement de son corps. Anne Helen Petersen fait un parallèle intéressant : le corps des femmes noires a toujours été objectifié par les hommes. Ils l’ont érotisé, sexualisé en le considérant comme « exotique ». Prenons l’exemple de son clip « Anaconda », dans lequel on la voit twerker, très peu vêtue. L’autrice écrit :

“The video is like the most beautiful, irresistible inkblot test: the way you react to it says more about your own assumptions—about women, about asses, about black women, about the level of intelligence women who watch this video possess—and less about Minaj herself. To label her “too sexual” is to underestimate just how complicated women, and the pleasure and power they can take in their own bodies, can be, even if—especially if—that power and pleasure have historically been wrested from them. “

C’est là que le bât blesse, et que l’on se rend compte à quel point notre vision des choses peut-être biaisée, malgré des dizaines de lectures féministes et une déconstruction progressive du sexisme intégré. Plutôt que de penser que Nicki Minaj se met en scène pour le regard de l’homme, je devrais plutôt prendre ses actes pour ce qu’ils sont : la liberté de disposer de son corps comme elle le souhaite. Elle reste une artiste, elle se crée des alter ego qu’elle interprète au gré de sa progression musicale. Elle fait partie des rares femmes à être un des poids lourd du rap américain, dans un domaine très misogyne et encore dominé par les hommes.

Le chapitre qui m’a le plus captivée, à ma grande surprise, est celui sur Kim Kardashian, dans lequel l’autrice aborde la thématique de la grossesse et la manière dont le corps des femmes est perçu à ce moment-là. Avant, le baby bump devait être caché. C’était considéré comme honteux de montrer son corps distendu par la grossesse. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Mais une pression pèse toujours sur les épaules des femmes enceintes : elles doivent renvoyer une image de future mère rayonnante et épanouie pendant la grossesse, et retrouver la ligne immédiatement après avoir accouché. C’est une vision lisse et utopique, une grossesse ne se déroule pas toujours dans des conditions idéales. C’est encore une attente absurde concernant les femmes !

Bref, d’autres chapitres valent également la peine d’être lus, tant ils sont riches et intéressants ! Anne Helen Peterson écrit avec justesse et finesse. Cela permet d’ancrer son argumentation dans la réalité. Un très bon essai !