Très beau et très bon livre de 485 pages, Pépite d’Or du Salon de Montreuil 2023.
Avant tout, un clin d’œil aux lectrices et lecteurs qui, petits, ont pris goût à la lecture à travers les revues Astrapi, J’aime lire, Les belles histoires : il se trouve que l’autrice de ce roman, Anne-Laure Bondoux, a été rédactrice chez Bayard pendant une dizaine d’années avant de quitter cet emploi en 2000 pour se consacrer entièrement à l’écriture.

Dès le début, on est touché et happé par le magnifique prologue qui prend des accents d’héritage ou de testament spirituel :
Voici l’histoire que je dois te raconter, Saule. C’est l’histoire d’une famille, d’une maison et d’un pays, Elle commence à la veille d’une guerre planétaire, dans une ferme de hameau qu’on appelle les Chaumes. Elle s’achèvera un siècle plus tard au même endroit. Entre ces deux époques tu verras vivre ici quatre générations d’une famille tourmentée par des secrets et des fantômes….Jusqu’à moi. Jusqu’à toi.
On va donc se plonger dans cette histoire pour connaître, comprendre ces secrets et ces fantômes. C’est ainsi qu’on traverse tout le 20ème siècle avec comme ligne principale les femmes et les hommes de la famille Balaguère sur quatre générations, où l’aîné porte toujours un nom d’arbre. Au fil des pages nous prenons part à la vie quotidienne de ces Français d’origine paysanne (comme la majorité des Français jusqu’au milieu du siècle), origine où ils viendront tous et toujours se réfugier ou panser leurs blessures. Nous traversons les deux guerres mondiales, la guerre d’Algérie, l’arrivée du sida, les brimades envers les homosexuels, la maltraitance des femmes qui n’ont qu’à servir et se soumettre, Mai 68, le féminisme, l’avortement en cachette. Chaque génération a son lot de misères. Ce ne sont pas seulement des mots ou des explications comme dans un livre d’Histoire ! nous voyons les jeunes de vingt ans partir à la guerre, ils sont jeunes, beaux, joyeux, souvent amoureux, bien dans leur vie et leur milieu. Et puis nous les voyons revenir (ceux qui en reviennent) amochés, estropiés, démolis physiquement et mentalement. Comme le chantait Jean Ferrat « ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux? ». Alors pour oublier ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont dû faire, ils s’enivrent, ils battent leur femme. Ces mêmes femmes qui ont tout pris en charge pendant que les hommes étaient au front : tout le travail à la ferme ou ailleurs, les soins aux grands-parents et aux enfants. Non seulement elles ont fait tourner l’économie du pays, mais en plus le soir elles tricotaient des chaussettes pour les soldats qui avaient froid dans les tranchées ; souvent elles faisaient de la Résistance en plus. Et quand les hommes rentrent de l’enfer où ils ont appris à tuer, violer, égorger, torturer… elles se font taper dessus, parce qu’ils ne savent plus s’exprimer autrement. Et si elles se retrouvent enceintes et ne veulent ou ne peuvent plus assumer, elles se chuchotent entre elles une adresse plus ou moins sûre pour se faire avorter. Et nous voyons l’arrivée des mouvements féministes des années 70, qui ne sont pas nés par hasard.
Si les hommes étaient si malheureux à cause de toute cette violence subie, ils auraient pu être solidaires des femmes qui n’étaient pas en vacances pendant ce temps. Quand Olivier demande à son père qui écrivait des poèmes « avant » : « Tu peux me dire à quoi ça sert la littérature face à autant de souffrance injuste? » Et son père, lui qui a tout perdu, répond : « la littérature est une consolation Olivier. Dépêche-toi d’aller chercher la beauté hors d’ici… Pour moi c’est trop tard. J’ai renoncé à la beauté quelque part en Algérie. Il y a bien longtemps… Allez file Olivier, occupe-toi de ton avenir maintenant ».
A ce moment il y a un tournant qu’Olivier aurait pu prendre, pour racheter toute l’histoire maudite de la famille, pour se sauver lui-même, pour que ses ancêtres n’aient pas souffert pour rien. Avec toutes les cartes en mains pour se faire une bonne et belle vie, le voilà qui plonge en squattant à droite à gauche avec un pseudo groupe de musique. il ne respecte plus rien ni personne à commencer par lui-même. Même si, de retour au pays il a un éclair de lucidité : » alors ça va être ça ma vie? une succession d’échecs… Si j’arrêtais de tout abîmer, de tout détruire? si j’arrêtais de descendre du train avant qu’il démarre? »
Un espoir, peut-être, avec ce testament spirituel? la liberté, la force de faire autrement et mieux?

Elle a toujours aimé la littérature, même si c’est l’anglais qu’elle a étudié et enseigné. Elle trouve que la littérature, c’est la vie ; et comme Boris Cyrulnik elle pense que les auteurs n’inventent rien : ils mettent en scène la réalité avec des situations et des gens qu’ils ont vus. Mais cette mise en scène est tout un art, tant par la structure que par l’écriture!