RéciFs : une heure pour découvrir la SF féminine

Grâce aux Missives, tu en es convaincue à présent, la science-fiction féminine est un terrain passionnant que tu brûles d’explorer. Tu sillonnes les rayons de ta librairie en soupirant : ta pile à lire est tellement haute que tu t’y es construit une cabane, de toute façon t’as jamais le temps, peut-être dans les transports à la rigueur ou en salle d’attente mais jamais tu vas te trimballer cette magnifique édition jaspée à reliure embossée qui pèse son kilo en salle d’attente, déjà que pour lire au lit ça te décourage. Et puis, si tout compte fait t’aimes pas, si c’est pas le bon moment ?

Vive les novellas.

Les novellas, c’est la vie. Non : c’est une heure de ta vie. Tu entres, tu t’immerges, tu ressors. Le format court réussit parfaitement à la SF ou au fantastique : un concept qu’on explore ou qu’on esquisse, sans s’éparpiller, le temps de semer les questions. Un format idéal pour s’essayer au matrimoine imaginaire.

Et c’est le projet de la collection RéciFs, lancée chez Argyll en 2024 et déjà riche de six titres, bientôt rejoints par deux autres de Cassandra Khaw.

Deux titres seraient à lire ensemble : L’agneau égorgera le lion et Les morts possèderont la terre, diptyque de l’autrice anar, féministe et trans Margaret Killjoy, dont on a déjà parlé sur ce site (https://www.lesmissives.fr/index.php/2023/02/22/trois-utopies-a-lire-les-jours-denvie-de-tout-cramer/). On y suit Danielle Cain et la communauté anarchiste qu’elle rejoint, bien qu’elle soit parfois perturbée par les événements qui troublent parfois de tels projets : désaccords internes, apparitions démoniaques meurtrières, tensions, manifestations fantomatiques, etc. C’est drôle, c’est vénère, c’est tendu : parfait.

Pour celles qui préfèrent de la douceur, commencez par Le bracelet de jade de Mu Ming, novella poétique remplie de références à la littérature classique chinoise, qui canalise le lyrisme ténu du conte métaphysique pour explorer des questionnements qui demeurent politiques. De la poésie aussi dans Foodistan de Ketty Steward, elle aussi déjà connue de nos services (https://www.lesmissives.fr/index.php/2023/09/30/trois-trajectoires-pour-lire-ketty-steward/), où l’autrice s’amuse à imaginer une dystopie d’après la « faim du monde », dont les castes sont liées aux mœurs alimentaires et le langage saturé du champ lexical de la nourriture – en plus, il y a des menus hommages aux classiques du genre, Dune ou Les dépossédés.

N’enchaînez pas avec Re:Start de Katia Lanero Zamora, qui risque de vous couper l’appétit. On y suit Mona, en pleine immersion dans le village éponyme dont les cures promettent la minceur et la beauté. Sauf qu’évidemment, les injonctions à contrôler fiévreusement tout ce qu’on ingurgite, à supplémenter par des gélules miracle au contenu discutable et à s’abrutir d’effort physique prennent des proportions catastrophiques, suffisamment pour que le texte s’ouvre sur un trigger warning – la scène initiale, où la haine de soi bascule dans une irrépressible faim autophage, a en effet de quoi secouer. L’enquête en milieu clos et le recours au fantastique permettent d’interroger les dégâts qu’inflige aux corps et aux esprits, sous ses dehors faussement bienveillants, le culte sectaire du corps parfait.

D’une communauté à l’autre, on terminera par Hard Mary de Sofia Samatar, inspiré par son éducation mennonite. Le village de Jericho mêle dogmes chrétiens et superstitions fantastiques : la veille de Noël, celle où les animaux parlent, les filles se livrent à un rituel supposé leur révéler leur futur époux quand elles découvrent un robot féminin abandonné. Le groupe adopte celle qu’elles baptisent Hard Mary, qui, à leur contact, s’éveille et s’éduque, devenant compagne mais aussi protectrice. La novella s’approprie avec beaucoup de subtilité les thèmes de la conscience émergente et de l’exploitation, mais aussi de la violence patriarcale et de la possibilité pour les femmes de faire communauté.

Une heure, un lieu nouveau – horrifique ou mystérieux, ludique ou merveilleux – assuré de surcroît par le magnifique boulot d’illustration et d’identité graphique d’Anouck Faure. De quoi ne pas ressortir les mains vides du rayon SF.